| Le Méridien des brumes : Aubes pourpresUn tueur en série multiplie les meurtres macabres à Londres. Mais le "Chasseur" est sur sa trace..."Londres, fin du XIXe siècle. Ce matin-là, tandis que les cloches de Big Ben résonnent à travers la Cité, un corps humain se balance à trente pieds au-dessus du sol. L'équarrisseur a encore frappé. L'équarrisseur ? Un tueur fou qui terrorise la ville. Et menace de récidiver si une rançon de cinq cents mille livres ne lui est pas versée. Mais que fait la police ? Elle va chercher en Afrique John Coleridge, un guide aux talents de chasseur de fauves. Dans Londres imprégnée de brume, la chasse est ouverte. Et le chasseur, à son tour, devient gibier..." (Présentation Dargaud)
On pourrait se dire que c'est une énième histoire de tueur en série qui met en scène ses meurtres (on pense tout de suite au film Seven, etc...) Pourtant les auteurs réussissent le tour de force de ne pas tomber dans le simpliste ou dans le déjà vu, en multipliant les intrigues mystérieuses. Le scénariste Juszezak prend soin de ne pas lever le voile de toutes ces histoires. Beaucoup de faits et de personnages restent encore dans l'ombre. L'histoire totale se bouclera dans un deuxième album mais déjà dans le premier tome une intrigue est menée à son terme (certes pour mieux en relancer une autre peut-être encore plus inquiétante). On peut aussi se demander si les auteurs ne vont pas rebondir après ces deux albums. Il pourrait en effet avoir matière pour une série.
Ce thriller se démarque aussi par le genre auquel il appartient et qui nous est expliqué sur la page de garde de l'album : "Le mot uchronie est un néologisme du XIX siècle fondé sur utopie et chronos. Il s'agit donc d'utopies temporelles, de récits dans des temps "qui auraient pu être". Ce mot est apparu pour la première fois en 1876 dans le titre d'un livre de Charles Renouvier, Uchronie : l'utopie dans l'histoire. Le steampunk est un genre littéraire issu de l'uchronie qui regroupe les romans dont l'histoire se déroule dans un XIXe siècle alternatif : plus précisément au Royaume-Uni, à l'époque victorienne. Le mot Steampunk est une contraction des termes cyperpunk (mouvement autour d'un monde futuriste ultra-informatisé) et steam (vapeur, en anglais), un monde où la technologie se serait développée non pas autour de l'électricité, mais de la vapeur. L'intérêt majeur de ce genre consiste à pouvoir utiliser tous les personnages illustres de l'époque victorienne, qu'ils soient réels ou fictifs (Sherlock Holmes et son fidèle Watson, Sigmund Freud, le Dr Jeckyll et son alter ego Mr Hyde, Jack l'Eventreur, Dracula...)" Les auteurs développent donc un univers à la Jules Vernes avec tout un tas de machines à vapeur qui envahissent l'espace de la ville. Londres est représentée paradoxalement à la fois de manière réaliste et futuriste : on peut en effet identifier tout à fait la ville et en même temps elle se teinte d'une dimension tout à fait imaginaire avec des dirigeables et des véhicules tous plus délirants les uns que les autres.
Le Méridien des brumes déjoue donc nos attentes au niveau du scénario, de son genre, mais aussi des personnages. Ainsi le personnage féminin d'Harriet, en tant que suffragette se situe déjà en opposition à certains codes sociaux de son époque. Elle a donc un caractère fort, et n'est pas du tout l'image de la femme faible et un peu niaise qui doit être sauvée par le héros (image à laquelle on aurait pu s'attendre par le type d'histoire qui nous présenté). Les auteurs mettent un peu bizarrement en place ce personnage : elle s'immisce d'un coup dans l'histoire sans que l'on sache réellement qui elle est, et aucune explication sur son passé n'est donnée. Elle semble juste intéressée par l'histoire de l'équarrisseur. C'est une autre caractéristique de l'album de laisser beaucoup de zones de flou. Les auteurs jouent avec le lecteur : ils font dire à leurs personnages une phrase que le lecteur ne peut comprendre tout de suite, et qui n'est explicitée que plusieurs planches plus loin. Par exemple, à la planche 12, le héros et Idriss s'enfuyant découvre un cadavre e s'exclament "Les salopards ! – C'était le griot du village." Au lieu de nous mettre une notre en bas de la planche pour nous expliquer la fonction du "griot", de manière plus subtile les auteurs nous explicitent ce terme dans une réplique du héros à la planche 17, cinq planches plus loin. De même, Monsieur Puckett aide la police dans son enquête dès le début, sans que l'on sache bien pourquoi. A la planche 11, une réplique d'un personnage totalement secondaire, à propos de Monsieur Puckett, attire notre attention et nous intriguent : "Le pauvre à peine remis déjà reparti". Aucune information supplémentaire, pas de flash-back nous expliquant le passé de ce personnage. Cette explication si cruciale sur ce personnage se fera attendre jusqu'à la planche 19 !!! On peut dire que les auteurs nous tiennent en haleine. Cette technique ralentit le temps de lecture ; on est en effet souvent amené à retourner en arrière pour relier toutes les informations qui nous sont données sporadiquement.
Le dessin de Parras est égal à lui-même (il faut savoir qu'il fait de la BD depuis les années 50) et passe toujours aussi bien. C'est un dessin fouillé, qui demande une grande attention du lecteur, s'il veut en voir tous les détails.
Les auteurs suscitent donc la participation du lecteur autant par le scénario que le dessin. De plus, la mise en page de Parras organise la circulation du regard. Parfois une mise en page "en boucle", nous fait remonter les yeux en haut de la planche et nous invite à regarder une nouvelle fois cette page pour bien en comprendre tout le système et en saisir tous les détails. Je pense notamment à la planche 4, où deux bandes viennent se superposer à une image en fond. Nous lisons d'abord les deux bandes en continue, puis nous nous arrêtons à l'image de fond qui fait remonter nos regards en haut de la première bande grâce aux poteaux des pontons. Je sais c'est pas très claire comme ça dans l'absolu, mais avec l'album sous les yeux vous comprendrez. Il y a une très grande réflexion de la part de Parras sur la construction graphique, qui oblige le lecteur à s'interroger et à prendre son temps.
En bref, un album qui déjoue le déjà vu et toutes les idées que l'on peut se faire à l'avance. Un album à lire donc...
Série : Le Méridien des Brumes
Titre : Aubes pourpres
Auteurs : Juszezak Erik, Parras Antonio
Editeur : Dargaud | | |
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