| Le FuturisteL'artiste peut parfois se faire dépasser par son oeuvre..."1912. L'italien Luciano Salvatori, un artiste peintre installé à Paris, s'efforce difficilement de vivre de sa peinture, qui s'inscrit dans le mouvement en plein essor des futuristes. Il côtoie Picasso, Appollinaire, mais, comme la plupart des créateurs d'alors, vit un quotidien de grande misère matérielle. Jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance d'un étrange mécène, qui, en échange d'une rétribution généreuse, lui passe une très curieuse commande : imaginer et peindre des machines de destruction, laisser son inspiration s'exprimer en roue libre pour représenter la guerre de demain. Parce que la guerre est l'hygiène du monde, et la mort une condition du futur. Mais qui peut bien être au juste son mystérieux commanditaire ? N'y a-t-il pas une dimension presque faustienne dans l'acte créateur qui lui est proposé ? Et peut-on imaginer, finalement, que la fonction de l'art soit aussi de tuer ? " (Présentation Casterman)
Deux nouveaux venus chez Casterman, Jules Stromboni et Olivier Cotte, entrent dans le catalogue de cette célèbre maison d'édition BD avec un album plutôt original. Certes Le Futuriste revisite une unième fois le mythe faustien. Un jeune peintre sans le sou et abusant de l'alcool et du sexe (autre topos réutilisé) accepte une bien étrange commande en échange d'une somme substantielle. Pour l'honorer, Luciano va s'épuiser physiquement et moralement au travail. Mais il est loin de s'imaginer à quelles fins diaboliques et mortelles vont être utilisés ses dessins. A travers l'histoire de cet artiste guidé par les théories futuristes, les auteurs mènent une réflexion intéressante sur l'idéologie et ses dérives. Les idées du peintre futuriste Marinetti que cite un peu naïvement Luciano, "glorifier la guerre – seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes... ", vont le dépasser totalement en prenant une tournure concrète et fatale.
Une autre originalité de l'album réside dans l'évocation de toutes les avant-gardes artistiques du début du vingtième siècle. Certains courants sont représentés par les personnages amis de Luciano, comme Picasso pour le cubisme ou Giorgio de Chirico pour le surréalisme. Les auteurs prennent aussi plaisir à donner une deuxième vie par le dessin aux célèbres ballets russes, qui ont révolutionné la danse, la musique. Ils rappellent en particulier le scandale que provoqua Le Sacre du Printemps de Stravinsky. Mais l'évocation la plus subtile demeure celle du cinéma expressionnisme. Cette esthétique influence le décor et la mise en page chaotique de la planche 47.
Bien sûr, Jules Stromboni sait également imprimer son propre style graphique. L'utilisation du sépia confère une atmosphère un peu morose et misérable parfaitement adaptée à la situation du personnage. Si la couleur est plutôt monochrome, la mise en page quant à elle use de la variété. Stromboni alterne notamment le dessin en sépia de l'album avec les œuvres du personnage au crayon, les photographies de la guerre retouchées. L'enchaînement des plans est fluide pour mener le lecteur jusqu'au désastre final...
Titre : Le Futuriste
Auteurs : Stromboni – Cotte
Editeur : Casterman | | |
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