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Lavillenie sur le toit du monde

A Donetsk, terre natale de Sergueï Bubka, Renaud Lavillenie a battu le record du monde du saut à la perche jusqu'alors détenu par le Tsar en réussissant, dès son premier essai, un saut à 6,16m. L'Auvergnat est entré dans la Légende du sport français et même dans l'Histoire du sport mondial.


Il y a des jours comme ça. Vous savez, ces jours qui font du bien, qui redonnent le sourire parce qu'on sait qu'ils bouleversent le sport français. On pourrait citer entre autres cette soirée de juillet 1998 qui vit l'équipe de France devenir championne du monde aux dépens du Brésil (3-0). Mais il y en a tellement d'autres. Ce jour où Christophe Lemaitre est devenu le premier "Blanc" à descendre sous la barrière des dix secondes ou lorsque Tony Estanguet a obtenu son troisième titre olympique, à Londres en août 2012, en canoë-kayak. On se souvient également des deux médailles d'or de Marie-José Pérec en 200 et 400m lors des Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996 ou de Yannick Noah remportant Roland-Garros en 1983, le dernier tournoi du Grand-Chelem remporté par un Français. On pourrait même aller un peu plus loin et on parlerait de Jean-Claude Killy triomphant à trois reprises aux Jeux Olympiques de Grenoble en 1968 (en descente, slalom géant et slalom) ou d'Alain Mimoun finissant premier du marathon des Jeux Olympiques de Melbourne en 1956.
Renaud Lavillenie est de la trempe des sportifs précédemment cités ou du moins, il l'est devenu samedi après-midi. Avant d'aller plus loin, revenons-nous en aux faits. A ce moment là de l'année et pour la vingt-cinquième fois se déroule le Pole Vault Stars, compétition destinée particulièrement à la perche et quelle meilleure idée ont eu les organisateurs de faire un rassemblement dédiée au saut à la perche à Donetsk, ville de Sergueï Bubka, le meilleur perchiste, jusqu'alors, de l'Histoire de son sport. Champion olympique en titre, Renaud Lavillenie y est naturellement convié. C'est la troisième fois qu'il participe à ce meeting. Pour sa première participation, il était allé faire une bataille de boules de neige avec son frère Valentin juste devant la statue édifiée en plein centre de la ville ukrainienne à la gloire de son perchiste. Une statue haute de... 6,15m en référence à son record du monde obtenu ici-même à Donetsk il y a vingt-et-un an. Vendredi, à la veille du concours, Renaud y est retourné avec cette phrase "quand je vois cette statue, je me dis que ce n'est pas aussi haut qu'on pourrait l'imaginer".


6,16m au premier essai

Ce concours, qui restera gravé à jamais dans la mémoire du Clermontois et dans le marbre de la discipline, Renaud le commença bien après les autres. Il dut attendre que la barre s'élève à 5,76m pur faire son entrée comme s'il voulait faire honneur au Tsar, venu de Sotchi exprès pour ne pas manquer ce rassemblement, car seul un athlète du calibre de Sergueï Bubka pouvait attendre cette hauteur pour commencer. Une barre que Lavillenie passera au premier essai sans forcé son talent, juste histoire de se mettre en confiance avant que les choses sérieuses ne commencent réellement. Sa mise en jambe se poursuivra à 5,91m, une hauteur qui lui parut gigantesque fut un temps. Mais les choses ont changé, Renaud Lavillenie a changé et aujourd'hui, ce dernier est capable d'effacer une telle barre au premier essai également. A ce niveau, le champion olympique avait déjà le concours dans sa poche mais ce serait mentir de dire qu'il venait pour gagner. Son rêve se situait autre part. Il rêvait dorénavant de hauteur avec le record de son idole caché dans un coin de sa tête. Pour y aller progressivement, Renaud Lavillenie décide de tenter 6,01m "juste pour que des barres à 6m me deviennent de plus en plus familières et qu'il les passe sans donner trop de jus" selon Philippe d'Encausse, son entraîneur depuis le titre olympique. Il aura besoin de deux fautes pour se régler mais le troisième essai sera le bon.
Maintenant, il pouvait s'orienter vers cette barre de 6,16m qu'il avait tentée il y a deux semaines en Pologne sans réussite. Il prit son temps, souffla plusieurs fois pour évacuer la pression mais surtout l'excitation de défier une hauteur qui semblait inaccessible il y a encore un mois quand le record personnel du Français n'était que de 6,03m. Dans sa loge, Bubka parut quelque peu dissipé avec son voisin mais il était certain qu'il retrouverait son sérieux quand "son successeur" comme il aime à nommer Renaud Lavillenie, déciderait de lâcher les chevaux. Il s'élança le regard fixé vers le butoir. La suite, une mise en action remarquable, un envol parfaite et une technique maitrisée pour laisser la barre sur ses taquets. Une barre qu'il n'éfleura même pas avant de retomber sur le tapis de réception les mains levées. Le public se leva, Sergueï Bubka le premier le sourire au coin des lèvres. Lavillenie courait la tête dans les mains en attendant l'arrivée du Tsar en personne qui prendrait la pose pour cette passation de pouvoir. Quelques instants plus tard, l'Ukrainien dira sans une once d'amertume "c'est magnifique, c'est formidable (en français). Si j'avais été en compétition, bien sûr que je n'agirais pas de la même manière. Ma carrière est terminée. Aujourd'hui, je souhaite simplement que mon sport soit connu et ce genre d'évènement est indispensable. Mais je suis content parce que c'est Renaud qui me bat et il le mérite. Il est normal et tellement passionné par son sport, au point d'avoir aménagé un sautoir dans son jardin en France".


Des modifications techniques depuis l'hiver

Comment un record que l'on pensait inaccessible avant bien longtemps a-t-il pu être battu par Renaud Lavillenie ? Il y a plusieurs raisons forcément. La première est la progression "Renaud est un très gros bosseur. Si un garçon pas très imposant physiquement (1,76m) arrive à aller plus haut qu'un gars de la carrure de Bubka, c'est par le travail. En 2004, il faisait 4,60m. Il est allé de plus en plus haut au fur et à mesure jusqu'à 6,03m en 2011. J'étais persuadé qu'il ne s'arrêterait pas là notamment en référence à son saut de l'année dernière en indoor (il avait franchi une barre à 6,07m qui n'avait pas été homologué parce que la barre ne tenait plus sur les taquets réglementaires) mais de là à battre Bubka sans doute pas" reconnait d'Encausse, son entraineur. Mais bien sûr, il n'y a pas que ça. D'autres éléments plus techniques ont contribué à cet exploit. A commencer par un changement de perche. Philippe d'Encausse poursuit "avant cet hiver, Renaud n'avait jamais pris une perche d'indice 14.0 de dureté (plus l'indice est bas, plus la perche est raide donc plus difficile à plier) et quand il a pris une telle perche il y a trois semaines à Rouen quand il avait tenté de passer 6,16m, il n'avait rien pu faire. Hier, il passe 6,01m au troisième essai avec une perche d'indice 14.0. C'est la première fois qu'il parvient à sauter avec ça. Par rapport à son poids (70 kg), c'est simplement extraordinaire. Mais le plus impressionnant est de le voir prendre une perche d'indice 13.8, une perche qu'il n'a jamais utilisé, pour aller chercher le record du monde dès le premier essai".
Après la perche, l'Auvergnat a également modifié son levier. En temps normal, il utilise un levier de 5,10m. Hier, il prit un levier de 5,17m. A ce niveau là, seule sa vitesse peut lui permettre de s'envoler vers les sommets comme ce fut le cas hier. Même Bubka n'en revenait pas "je suis content aussi parce que Renaud n'est pas super balèze quand on le voit comme ça. Il n'est pas très grand ni très costaud mais ça prouve qu'il n'y a pas de physique type pour aller haut et j'en suis heureux. Le principal dans le saut à la perche, c'est de se connaitre suffisamment pour faire des réglages optimums qui lui permettent d'aller le plus haut possible. 6,16m, c'est énorme mais je pense que Renaud ne s'arrêtera pas là".
Et voilà que le Tsar jette un pavé dans la mare. Maintenant que Lavillenie a dépassé une barre que l'on pensait infranchissable, la question que l'on se pose est de savoir jusqu'où ira le Clermontois. Sur son saut à 6,16m qu'il passa au premier essai, il y a de la marge. Le Tsar lui-même estime "qu'il peut aller vers les 6,20m rien qu'a voir son saut. Renaud Lavillenie, lui, ne se pose pas la question "je ne sais pas si je peux aller vraiment plus haut. On verra bien. Ce qui est sûr, c'est que je vais continuer à m'entraîner pour repousser mes limites et me donner la chance de poser mon empreinte dans le saut à la perche. 6,20m, je pense que je peux le faire après, je ne sais franchement pas". L'avenir nous le dira...
L'auteur : Fruitier Manu
29 ans, Paris (France).
Publié le 24 février 2014
Modifié le 24 février 2014
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