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Génération sans voix vous génération sans voie

Réflexion sur l'évolution de la société et des mentalités des années 1960 à aujourd'hui. Ou comment sous couvert de l'illusion de la liberté d'expression, les pratiques et les propos sont plus que jamais uniformisés.


Aucune personne sensée ne viendrait contester la mutation subie par la société de l'après seconde guerre mondiale à nos jours. Ce qu'on résume souvent aux différentes innovations et au "progrès" dans son ensemble. Mais ce changement procède davantage d'une uniformisation politique et économique, qui est allée jusqu'à faire oublier aux individus leurs aspirations les plus naturelles. Concentrons-nous sur la seule jeunesse pour constater les différences entre ce qui était une génération sans voix et ce qui est à présent une génération sans voie, cette fameuse génération X sur laquelle se sont penchés de nombreux auteurs et sociologues.

La génération sans voix a perduré jusqu'au début des 70's mais nous pouvons aussi situer le tournant à mai 1968 puisque ce moment cristallise toutes les revendications du peuple face à la société des 60's jugée trop rigide. Effectivement, les codes sont alors inflexibles et les hiérarchies sont clairement établies, que ce soit du patron à l'ouvrier ou du parent à l'enfant voir de l'homme à la femme. La jeunesse est opprimée d'un point de vue idéologique mais aussi dorée en ce sens que l'emploi pullule, l'argent ne manque pas et tous les rêves leurs sont permis. C'est une société empreinte de paternalisme, montrant les chemins à suivre et respectant les lois naturelles entre les hommes, à laquelle on ne peut que reprocher un certain manque d'aspérité et une créativité faible.


Libéralisation et conséquences

Jusqu'à la fin des 70's, on peut parler de période de transition avec une libéralisation des mœurs en même temps que celle du marché mondial. La débauche devient une conception de vie, les lendemains chantent encore malgré une crise rampante qui montre le bout de son nez au milieu de la décennie.
C'est une période, quoi qu'on en dise, empreinte d'un très faible contrôle étatique que ce soit sous Pompidou ou sous Giscard. Par exemple l'ORTF a beau régner, on assiste à l'âge d'or de la télévision anarchisante post-De Gaulle, symbolisé par une émission comme le petit rapporteur. C'est aussi un âge d'or au niveau de la presse écrite qui voit apparaitre des journaux satiriques comme Hara-kiri ou le Canard Enchaîné. Des films, parmi les plus violents de tous les temps, pullulent à l'écran (Orange mécanique (1971), Caligula (1973), Taxi driver (1975), Salô ou les 120 journées de sodome (1975), Midnight express (1978), ...) pendant que dans la vraie vie les faits divers et les grands truands connaissent leur ère de gloire. La police, les banques et les prisons sont encore en pleine transition et très friables, ce qui n'est pas la moindre des explications à cette vague de délits. Les petits larcins et magouilles sont aussi au sommet de leur art puisque tous les services publics, financiers, ... Se restructurent et ouvrent de nombreuses brèches.


Dérivation des valeurs

Les 80's marque la fin des rêves, notamment celui d'un socialisme Français qui ne peut exister par lui-même face à la mondialisation galopante, voulu à la fois par l'union Européenne et les Etats-Unis, donc inévitable. C'est une période où les états perdent progressivement ce droit fondamental qu'était celui "des peuples à disposer d'eux-mêmes". On se trouve dans une société de perte d'échelle de valeur, symbolisée par l'irritant "les goûts et les couleurs ne se discutent pas", aboutissant à devoir mettre sur un pied d'égalité le rap bêta d'un banlieusard fraîchement récupéré par une major avec une symphonie de Beethoven. Défendre le contraire faisant de vous un fasciste pur et simple.
Dans cette société, la parole est libre mais paradoxalement de plus en plus formatée et enfermée dans le carcan de la pensée commune et autres horizons du pensable. Les soixante-huitards voient leur succéder des anarcho-bourgeois ne se rendant même pas compte que, loin d'être des rebelles (même sans cause), ils sont des groupuscules se ressemblant les uns les autres et à la forte prévisibilité, ce qui les rend manipulables à souhait. La désobéissance bête et méchante devient la norme ("de toute façon tout le monde le fait") à telle point que la seule réelle rébellion tend à être intègre, au sens légal mais avant tout légitime du terme.
Par exemple, se monter correct et à l'attention des autres est devenu un fait extraordinaire quand il devrait être considéré comme spontanéité et savoir-vivre. Le temps présent est aussi celui du culte de l'oisiveté, des partisans du moindre effort (même le fait de programmer une sortie avec des amis dépend d'une nécessaire "motivation") et de rapports humains régis par le rapport coûts/bénéfices : Quels intérêts retirerais-je à me rendre à cette soirée ? Qui va-t-il y avoir ? Autrement dit le calcul de son confort personnel a pris le pas sur la curiosité de l'autre, la fraîcheur, le goût de l'imprévu.


Le paradoxe de la liberté

Entre voix et voie il n'y a qu'une lettre mais elle prend une dimension exceptionnelle. Le sentiment d'aller nulle part a succédé au sentiment de ne pas être entendu. L'oisiveté improductive a pris le pas sur une volonté de jouissance partagée. Comme si en gagnant voix au chapitre les individus s'étaient d'eux-mêmes ôter le droit de penser individuellement. Comme si en perdant le guide de la voie à suivre, ils allaient davantage encore vers l'assistance plutôt que vers leur émancipation.
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L'auteur : Emilien Bartoli
41 ans, Toulouse (France).
Publié le 28 octobre 2010
Modifié le 24 octobre 2010
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