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Simon et Sylvia, une autre histoire (1)

C'est la mise en mots de l'histoire d'amour entre Simon et Sylvia, personnages terriblement bouleversants du film de Desplechin "Un conte de Noel". Une mise en mots pour dire l'intensité d'amour que le film fait percevoir, pour dire combien l'amour peut détruire, dérober, scier le corps entier.


Il était nuit. Les yeux rivés sur les dos courbés qui s'activaient dans l'ombre, elle luttait contre le froid qui l'engourdissait. Mille lumières volaient en secours dans tous les sens du ciel. Elle était postée contre la barrière de fer; le nez perdu, les yeux fermés, l'air mi perdu mi satisfait. Elle écoutait le jour dormir et la nuit vivre à cœur battant. Les lumières la striaient par coups, pour elle c'était la vie à tous les temps. Elle écoutait les rires, elle ne pensait à rien. Elle s'était laissée aller à sourire, sûre du lendemain. Elle ne doutait de rien.
Il courait dans tous les sens, baissait la tête à tout instant, riait un peu, criait parfois, surveillait tout partout et en même temps. Il essayait d'amuser les autres, et ce peut-être pour son grand plaisir. Ses yeux noirs et rieurs chatouillaient les étoiles et les bruits du feu. Il courait, sans faire attention. Peu importait. Pour lui, cet instant unique était magique. Les feux fusaient tout autour de lui, il slalomait alentour; entre les flammes et les bruits, à la fois se perdant et se retrouvant plus que jamais aux sons des flamboiements brûlants. Elle le regardait, s'activer pour le plaisir des autres. Elle le trouvait beau. Elle croyait l'aimer. Peut-être l'aimait-elle, à cette instant là. Personne ne se le demandait. C'était juste comme ça.
Sur le côté gauche, jouxtant la maison de pierre, il était enfermé dans la véranda, loin de l'agitation, loin des cris, loin de tous ces hourras. Une cigarette coincée entre les lèvres, il balayait dans un silence tenace. Il n'osait pas hasarder un regard vers l'extérieur. Il en serait mort, il ne le savait que trop bien sachant ce qu'il y verrait. Il n'en souffrait pas moins, mais le tranchant du glaive flirtait avec ses yeux. Il l'entendait, sans vouloir le savoir. Il ne pensait à rien. Peut-être pensait-il à elle, cela dit, mais il ne se le demandait guère. Il y pensait tant depuis dix ans que lui-même ne savait plus si les tordements de sa pensée, tendus vers elle, s'arrêtaient par intervalles. Elle était omniprésente et il s'y était habitué. Au fond de son cœur, le puits de douleur était toujours le même. Et les yeux fermés, il tentait de l'ignorer. Il entendait les cris de la vie qui flamboyait, au dehors. Il entendait les feux crépiter, les yeux rugir de joie, les regards se croiser sans prendre conscience de lui, lui seul, enfermé là.
Elle se recroquevillait sur elle-même, dans l'air du froid. Elle sentait les regards perdus de la femme âgée derrière elle qui voulait lui parler. Elle désirait le silence. Elle ne le désirerait que plus fervemment, ensuite. C'était son dernier instant de sécurité. Elle ne serait plus jamais pareille, juste un peu plus tard. Elle ne le savait pas. Ses yeux regardaient posément les gens s'agiter. Elle ne riait pas, mais restait heureuse, le cœur caché, l'esprit satisfait.

Un instant plus tard, la vieille femme lui parla. Elle regardait le jeune homme courbé dans sa véranda. Elle regardait son dos flancher, sa cigarette se consumer, cet être s'abandonner à la solitude la plus nue. Elle regardait son visage qui ne disait plus rien sauf l'ennui. Elle le regardait vivre sa jeunesse comme une flamme éteinte, qui a fait vaciller l'espoir avec elle, et qui a exténué toutes les brises et tous les vents. Elle l'entendait désespérer et cela la brisait. Elle se sentait désemparée. A demi-mots, elle le dit à la jeune femme qui regardait son mari tournoyer entre les feux. Elle lui demanda d'une voix brisée depuis quand il était comme ça. La jeune femme tourna la tête, les yeux dans le vague. Elles furent saisies ensemble, toutes deux transies dans la nuit. Elles se mordaient la lèvre pour savoir pourquoi. La femme âgée murmura qu'il était comme ça depuis qu'il l'avait abandonnée. Ce n'était qu'un souffle d'air transformé en parole, mais cet instant fit tout changer. L'air hurla en silence, le cœur de la jeune femme se mit à faire mille bonds, cent cavalcades; elle eut quelques frissons. Sa sécurité jamais ébranlée venait de s'échapper, sa stabilité de se perdre, sa vie de s'étrangler.
Tout se bouscula. L'espace d'un instant, debout, gelée sur le perron, elle s'évanouit de l'intérieur. Elle ne se sentit plus être. Elle entendit l'apocalypse rugir, la Terre souffrir. Elle eut besoin de tous les courages conjugués pour se remettre sur pied.

Elle tourna les yeux vers la véranda, et son âme, tout le sens de sa vie s'envola vers là-bas. Elle en était si renversée qu'elle n'en pouvait esquisser un mouvement, en délivrer un son. Elle laissa plonger ses yeux vers l'homme dont le visage la hantait encore.
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L'auteur : Laëtitia Flow
35 ans, Montreuil (France).
Publié le 02 février 2009
Modifié le 24 décembre 2008
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