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Petite fugue entre amis

C'est l'histoire de deux ados, qui, un jour, sur un coup de tête, décident de tout plaquer, pour partir droit devant eux, sans réfléchir.


Nantes, Lycée Jean Monet, 15h15, j'moins 1.

Je me souviens très bien de cet instant là, l'instant où l'idée m'a parcourut l'esprit pour la première fois, c'était en cours de maths, et je m'emmerdais, de par le fait.
Jésus Christ, le prof, blablatais comme d'habitude, ne se souciant aucunement du fait que la classe entière somnolait, dessinait, jouait aux morpions, discutait, rêvait.

_"Donc si l'on considère que X, l'inconnu est égal à...
_Qu'est ce qu'on s'en tape, de son X, putain.

C'est Gabriel, un pote, qui dit ça, tourné vers moi, affalé comme une merde sur sa table, il n'a même pas daigné sortir ses affaires.
_Carrément... J'aimerais bien être ailleurs.
_Tu m'étonnes... "

Après cette discussion fort philosophique, je me tourne à mon tour vers la fenêtre, et je me prends à rêver.
Ouais, j'aimerais drôlement être ailleurs.
En attendant que la cloche sonne, des dizaines d'endroit où j'aimerais être défilent dans mon esprit de jeune Lycée qui... Qui se fait grave chier.
L'endroit où j'aimerais le plus être, c'est au bord de la mer. A l'endroit où j'ai grandi, Saint Gilles Croix De Vie, et je m'imagine tous ces endroits, mon école, l'église, le marché, etc...

La cloche sonne.
Cette cloche, c'est pas une cloche remarque, c'est un truc automatique, et vraiment affreux, on dirait la sonnerie de mon réveil, vous savez, la bonne vieille sonnerie bien abominable, tellement stridente, que tu te lèves tout de suite pour qu'elle s'arrête.

On sort.

Vient ensuite le cours d'histoire. Et c'est reparti, je me dis, encore un stage de glandouille intensive, qu'est ce qu'on s'emmerde.
Mais nan, surprise, une cassette nous attend, sur la deuxième guerre mondiale, ça s'appelle Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard, vous l'avez sûrement déjà vu en cours, c'est un film vraiment horrible !
La liste de Schindler, à côté, c'est la petite maison dans la prairie.

On voit des corps humains déplacés à la pelleteuse, des morts, des morts, des corps.
Au bout d'un moment, j'en peux plus, je transpire, je sens la nausée qui monte... Alors je me lève et je me barre.

_"Où allez-vous, monsieur Ménard ?
Cette manie de nous apeller par nos noms de famille...
_Je vais vomir. "

Certains rient, les autres sont trop accrochés au film pour même remarquer que je sors de la classe, la prof ne fait pas d'objections.
C'est pas vrai, je vais pas vomir, je me passe de l'eau gelée sur le visage, et je m'allume une clope, planqué dans les toilettes.
Assis sur le tr^ne, je revois ces images horribles, comment ils peuvent nous faire visionner ces saletés, arf !

Ca sonne, Gabriel entre dans les chiottes.
_"Ca va ? T'as gerbé ?
Gab, et sa délicatesse habituelle.
_nan, ça va...
_Ha, c'était vraiment gore, son truc, à la prof, tiens tes affaires.
Ce que j'aime bien, chez Gaby, c'est son truc de toujours passez du coq à l'âne, style : _"ma mère vient de claquer, t'as pas du feu ?"
_C'est clair, bon, on y va ?"

On sort dans la cour.

Comme d'habitude, on va glander sur un banc, en attendant les autres, je me rallume une autre clope.
_"T'as une clope, pour moi ?
_T'es chiant, Gab, tu taxes tout le temps.
_Ca répond pas à ma question, mon chou.
_Tiens, taxeur. "

C'est vrai que je l'adore, même si dès fois il est lourd, à taxer.
Quelques fois je me demande s'il est pas homo, Gabriel, mais je lui demande pas, bien sûr.

_"Gab ?, je demande, en regardant rien, droit devant.
_Ouais ?
_T'as jamais eu envie de te tirer ?
_Où ?
_Bah, chais pas. Te tirer, quoi, partir loin, sans rien dire à personne, sur un coup de tête...
_heu, nan, ça va. Tu veux aller où ?"

J'arrête là la discussion, Gabriel est cool, mais pas très spirituel. En plus, j'ai la dalle, on a 17 ans, mais on a quand même sauvegardé l'heure sacrée du goûter.

Dans le bus qui nous ramène vers chez nous, tout en léchant mes doigts pleins de chocolat, je remet ça.
_"Moi, j'aimerais bien me tailler, tu sais, chais pas où, enfin j'ai une idée, mais bon.
_Mais qu'est ce que t'as toi ? T'as des envies de globe trotter, ou quoi ?
_Nan, ce n'est pas ça, mais tu vois, ça me prend la tête, les cours, les profs...
_Moi ?
_Ramène pas tout à toi, mon chou, tu sais bien que j'aime.
_Merci, mon amour.
_Nan, mais sans des', j'aimerais juste me barrer quelques jours.
_Et ça ne peut pas attendre les vacances, tu peux pas de barrer comme ça.
_Pourquoi pas ?
_Bah, justement, à cause des cours, des profs... moi ?
_Dès fois je crois qu'il faut pas réfléchir du tout, juste décider un truc et le faire, sinon, on est comme tous ces cons qui s'enterrent à vie dans un trou pommé, avec leur loyer, leur bagnole, leur taf...
_ben t'es gai aujourd'hui... "

Là, à ce moment précis, des contrôleurs sont entrés dans le bus, on a sorti nos cartes et on les a montrés. Un type genre punk des années 80 s'est fait griller, et ils sont tous descendus.
Ca a coupé cours à notre discussion, et on en a plus parlé.

_"Allez salut globe trotter, à demain !
_Ouais, à demain. "

Chacun rentre chez soi.
Ma mère m'attend, oui, la journée s'est bien passé, oui j'ai eu la moyenne en anglais, oui, je l'aime, oui, je vais dans ma chambre.

Je jette négligemment mon sac dans un coin de la piaule, allume la radio, et m'allonge sur mon lit, dans le noir total, je réfléchis.
A force de réfléchir, je m'endors tout habillé sur mon lit, jusqu'au lendemain matin, où, reposé de cette nuit de 12 heures, je tiens une forme olympique.

Nantes, 3 rue du Moulin. 6H30.

_"Et bien dis moi, ça va ? Tu auras assez dormi ?
_Tu m'étonnes !"

Ma mère me verse un chocolat chaud, mes tartines sont déjà prêtes. Dès fois, je me dis que ma mère doit être atteinte d'une grave maladie qui l'empêche de voir que j'ai grandi, depuis mes 6 ans... Et que beaucoup de parents ont été contaminés.
J'imagine un hosto, où, après avoir reçu le vaccin contre cette maladie, les parents voient leur enfant pour de vrai, pour la première fois. La stupéfaction ! Mais tu es grand, mon chéri ! Mais oui, maman, j'ai 34 ans !

_"Qu'est ce que tu as comme cours, ce matin ?
_Science de la femme.
_Quoi ?
_nan je déconne, je rêve.
_ne rêve pas trop, quand même. "

Dès fois, ma mère me donne des conseils bizarres, rêve pas trop, ça veut dire quoi, ça ?

Je monte dans le bus, Gabriel me rejoint, avec Cindy, une fille de terminale scientifique que je peux pas voir en peinture, mais que Gabriel adore. Je dirais même qu'il l'adule, je me demande pourquoi ils sont pas encore ensemble, ces deux là, cela vient accréditer ma thèse selon la quelle Gab est homo, enfin bref.

_"T'as révisé, Antoine ?
_Hein ? Révisé qui ? Quoi ?
_Ouais !! Super, la tête dans le cul, y'a contrôle D'LV2, ma caille !
_Ar ! Scheisse ! J'avais oublié ! Putain, je vais encore me ramasser la tronche !"

L'emmerde, en Allemand, c'est que je suis pas à côté de Gaby, et donc on peut pas pomper. Toute façon, même s'il était juste à trois centimètres, la prof est une vraie peau de vache, tu peux même pas espérer rêver que tu triches, qu'elle t'a déjà grillé ! J'imagine le mot aux parents : "Antoine a rêvé qu'il trichait. "
Je pense que si j'étais prof, je laisserais mes élèves tricher tant qu'ils veulent, en faisant semblant de pas les voir, je m'en foutrais, je serais payé pareil.

On descend du bus, juste au moment précis où il commence à pleuvoir.
_"Fais chier, ça commence bien, tiens !"

Le tram passe devant nous, je le regarde, et je me demande pourquoi je prendrais pas celui qui va dans le sens inverse, vers la gare, qu'est ce qui m'empêche vraiment de me tirer, de retourner dans mon village, juste pour un jour ? Même si on a cours, même s'il pleut ?

_"Toinou, grouille, merde, on va le rater !
_Gabriel, je prends pas le tram.

Gab Descend du tram, qui ferme ses portes et part sans nous.
_"Qu'est ce que tu me chies, ma caille ?
_je chie que je prends pas le tram, le globe trotter, il se casse !
_Tu vas pas recommencer...
_...
_Vas y arrête, merde, fais pas le con... On a un devoir.
_Qu'est ce que j'm'en bats, franchement... "

Gaby regarde ailleurs, tandis que moi, je ne bouge pas d'un pouce. J'ai des gouttes qui me dégoulinent dans les yeux, je suis trempé guené, comme on dit chez nous.
_"Bon. Ben si tu te casses, je viens avec toi.
_C'est parti. "

On traverse la ligne de tram, pour prendre, comme je l'avais voulu trente deux secondes avant, celui qui va vers la gare. Gaby ne pose même pas de questions. Je sais même pas s'il flippe, ou quoi.

Saint Gilles Croix De Vie. Vendée. 10H02.

On est devant mon ancienne maison. Ca me fait vraiment drôle. Il y a mon jardin, la boîte aux lettres, tout. Tout est là, comme si on était parti la veille.

_"Regarde, gab, là c'était la fenêtre de ma chambre, là, la cuisine, et là, y'avait un petit débarras.
_C'est absolument charmant, ma chère, si nous entrions prendre le thé ?
_T'es con, Gaby.
_C'est pour ça que tu m'aimes, mon chou. "

Tout à coup, la porte de la maison s'est ouverte. Et exactement au même moment, il s'est arrêté de pleuvoir.

_"Bonjour, les enfants !

C'était une dame, pas très jeune, enfin pas assez pour apeller "mes enfants" deux jeunes de dix sept ans, selon moi.
_Bonjour, madame.
_Vous voulez quelque chose ?
_heu nan nan, on regardait, on... regardait la maison.
_Vous voulez achetez ?

On rigole, ça détend l'atmosphère.

_J'habitais là avant, madame, il y a environ dix ans.
_Ha oui ? Ha c'est drôle, parce que nous on est là depuis environ le même temps, alors, je dois être la méchante madame qui t'as piqué ta maison, mon petit !
_Ho, la méchante !

C'est Gabriel qui dit ça, bien sûr. La dame sourit.
Un ange passe, et on sait plus quoi se dire. Au moment où j'allais dire au revoir, elle nous dit.

_Vous pouvez entrer un instant, si vous voulez, je vous ferais un petit déj', vous êtes trempés...
Moi, je sais pas quoi répondre, mais Gaby dit oui et on rentre.

Ma maison. Rien n'a changé, à part les meubles et... l'odeur.
Je dis pas que ça pue, hein, c'est juste que, toutes les maisons ont une odeur, elles sentent les gens qui y habitent, et cette maison sent la lavande.

Tandis que Gabriel part dans une grande discussion avec sa nouvelle copine, je visite la maison, avec l'accord de sa nouvelle propriétaire.
Quand je rentre dans mon ancienne chambre, visiblement habitée par un môme de mon âge, enfin je veux dire mon âge quand j'y habitais, je sens les larmes qui montent, c'est tellement bizarre. J'ai l'impression que ma mère va m'apeller pour le petit déjeuner, et que mon père sera là.

Je sens alors une main sur mon épaule, c'est Gabriel. Il a senti que j'allais plus très bien, et là, je me mets vraiment à chialer que un mioche, dans ses bras. Si on m'avait dit qu'un jour je chialerais dans ses bras, j'aurais bien rigolé.

La dame est arrivée, elle a fait une vanne, on a rit, et on a pris un bon petit dej', ensuite on a pris congé d'elle, et on est allé sur la plage, il ne pleuvait plus du tout.

_"Antoine, y'a un truc que je capte pas, tu sais.
_De quoi ?
_C'est vraiment bizarre que ça te fasse tant d'effet, de retourner dans cette baraque. Moi aussi j'ai beaucoup déménagé, mais ça m'a jamais fais chier à ce point là.

Là, je sais que je vais devoir tout lui dire, à mon pote, un truc que j'avais jamais dit à personne, e depuis ce fameux déménagement, je me suis lancé d'une traite.

_C'est pas seulement une baraque, tu sais. Cette maison, c'est là où on vivait, avec ma mère et mon père, et on a déménagé, parce que mon père est mort...
_...
_Accident de la route. Ma mère supportait pas de rester dans la maison où ont avait vécu tous ensemble.
_Toinou, chui désolé.
_pas grave, ça fait un bail, sept ans. "

Et là, il a fait un truc que j'oublierais jamais, il s'est tourné vers moi, et il m'a embrassé. Attention, pas un kiss d'amoureux, pas une pelle. Nan, il m'a fais un bisou sur la joue. Et là je me suis dit c'est sûr, il est homo, mon pote Gabriel, et puisqu'on en était dans les confidences, je lui ai posé cette foutue question.

_"Gabriel est ce que t'es homo ?
Au début il a rien dit. Il a regardé la mer, longtemps.
_Ouais, je crois que ouais. J'ai mis longtemps à décider de le croire, mais ouais. "

Nantes. Gare SNCF. 17heures.

On descend du train. On est tout bizarres. On sait bien qu'on va se faire sévèrement remonter les bretelles par nos parents et les profs, et le directeur du Lycée, mais en même temps je crois qu'on s'en fout un peu.
On sait qu'on sera jamais plus comme avant, qu'en un jour on a grandi de plusieurs années, et surtout, qu'on resteras amis pour toute la vie.
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Re: Petite fugue entre amis
Posté par zita le 31/10/2004 14:22:58
je veu juste te dire un truc : la prochaine fois, kan t'a envie de faire un truc ki ne risk pa d'avoir de grosse consékences, ne réfléchis pa, fai le!!! et vis ta vis comme tu l'entend et pa comme "on" veu ke tu la vive
Re: Petite fugue entre amis
Posté par yana147 le 30/10/2004 21:05:29
simpas otn article super mm
Re: Petite fugue entre amis
Posté par sky182 le 29/08/2004 02:34:14
vraiemnt supers tes articles !
j'adore.

Surtout continue à écrire :)
Re: Petite fugue entre amis
Posté par lili dove le 20/08/2004 07:56:50
encore une fois Bravo! ton histoire m'a rappellé le moment ou j'ai su que ma meilleure amie c'était pour la vie...on a vécu a peu près la même chose!trop fort!j'oublierai jamais!
ps:chouette prénoms pour tes héros...Gabriel surtout :o)
Re: Petite fugue entre amis
Posté par anelrob le 20/08/2004 07:56:50
franchement c un bon article, plaisant a lire, jai passé un bon moment merci
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L'auteur : Elodie Alias elodelu
42 ans, Nantes (France).
Publié le 07 avril 2004
Modifié le 07 avril 2004
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