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Passé présent ?

C'est celle que j'ai été, et que je suis encore...


J'étais déjà comme ça petite. Je veux dire, j'ai toujours cultivé ça, ce sens du tragique. J'adore me jouer sans fin des scènes dramatiques. Combien de fois j'ai pleuré et écrit sur la mort imaginaire de mon frère. J'ai dessiné pour moi d'autres présents, un cancer, des accidents de voiture... J'avais mille images d'ambulances m'emportant, mes jours y étaient comptés. Pour me créer un monde triste, j'avais une imagination illimitée. Je crois que ça me faisait sentir en vie de me faire pleurer sur cette autre vie que je choisissais pour mienne.


Je cherchais dans les livres de psychologie, les causes familiales et sociales expliquant ce désir morbide. Peut-être que de tout dramatiser c'était une tentative pour mettre en valeur ma petite vie bête et méchante. Je fuyais l'ennui par des souffrances fantasmatiques. Et puis se créer du malheur ça attire le regard. J'aime être regardée. Tout le monde aime ça je pense. En tous cas, moi j'en avais terriblement envie. Envie que les gens m'admirent, ou à défaut s'occupent de moi.


Cette façon d'attirer l'attention, ça faisait rire ma sœur. Ma sœur savait rire de tout. Et son rire emplissait la maison. Elle m'appelait la puce avec de la tendresse dans la voix.
Mes parents, eux, ils disaient "tu devrais faire du théâtre". L'idée m'avait plu. Pendant des années j'ai proposé en vain à ma mère plusieurs cours de théâtre auxquels j'aurais tellement aimé participé. Ca ne c'était jamais fait. Comme tout le reste. Ma mère elle disait "tu devrais... " et par derrière, sans s'en rendre compte peut-être, elle ne permettait jamais que ça se fasse. Trop cher. Inutile. Perte de temps. Trop loin. Pour tout, ces arguments-là suffisaient. Le théâtre, en ce sens succéda à toutes les autres envies de mon enfance. A tous les besoins, aussi. Il est des vaccins, des soins, que je n'ai pu faire qu'une fois que j'ai commencé à faire des études, et que j'ai pris un peu d'indépendance. Aujourd'hui, toutes ces activités, je me dis que je les ferai plus tard. Quand j'aurai l'argent. Plus tard...


Il y a tant de ces choses que je n'ai pas fait à cause d'Elle. Mon père, lui, je crois qu'il s'en foutait un peu. J'étais bonne élève, je ne faisais pas de souci à mes parents. Alors le reste c'était pas son problème. C'était pas comme s'il avait le temps de s'encombrer de moi, mon père, de mon éducation, de mes rêves. Est-ce qu'il a seulement pensé que ça rêvait un enfant ? Est-ce qu'il a seulement pensé, mon père, que j'avais des envies, que je voulais pas juste "réussir mes études", comme il le souhaitait lui pour nous ? Si ç'avait été lui, il m'aurait payé tout : les cours de théâtre, de tennis, de dessin, et plus tard de salsa et de rock acrobatique. Il m'aurait payé les voyages, et les loisirs, juste pour avoir la paix. Juste pour se dire qu'il faisait ce qu'il fallait, et que je lui foutais la paix.
Mais de toute façon je pense qu'il n'a jamais eu son mot à dire. Sans doute qu'il n'a même pas essayé. Et Elle a tout dirigé. Peut-être qu'elle se vengeait juste sur nous de sa vie de merde. Si je l'avais pas tant détestée, j'aurais sans doute eu pitié d'elle. Ou peut-être que c'était cette pitié qu'on avait pour elle qui la rendait tellement haïssable. Comme si on sentait au fond, que notre abandon l'aurait tuée.


Peut-être qu'elle voyait pas tout simplement, qu'elle se rendait malheureuse et qu'elle nous entraînait avec elle. Peut-être qu'elle essayait de se punir comme ça d'avoir perdu son premier enfant, de l'avoir laissé mourir, de ne pas avoir senti que le laisser partir, c'était le faire mourir. Peut-être qu'elle avait trop peur depuis de vivre, et de nous laisser vivre, parce que vivre c'était se tromper et mourir aussi.


Et peut-être que c'était ça que je voulais au final, à me créer toutes ces histoires tragiques. Je cherchais peut-être un vrai drame qui nous aurait fait réagir, qui m'aurait donné le droit de reprendre vie, pour de vrai, pas cette lassitude, ce cheminement vers l'ennui, ce lent abandon de mes rêves.


Elle disait ça maman de toutes mes envies "c'est que des rêves", comme elle aurait dit "c'est des conneries". C'est ça qu'elle avait dit encore quand j'avais voulu partir en Australie, au Pérou, faire le tour du monde... Et c'est ça qu'elle avait pensé de tout ce que j'avais jamais fait.
Tout ce qui me faisait rêver, me faisait bouger, tout ce qui me donnait envie de construire mon bonheur, elle le raillait, le méprisait. Elle répétait que ça ne servait à rien. Il fallait que tout soit utile pour elle. Et utile tout de suite, maintenant. C'était ça qu'elle voulait pour ma vie, ça qu'elle avait choisi pour elle et toute sa famille. Elle avait choisi la vie utile et ennuyeuse. Peut-être que si je rêvais tant de vivre un truc horrible, de voir ma vie se réduire à un lit d'hôpital, de me trouver un cancer ou une méningite, c'était juste pour avoir le droit de ne plus rien faire d'utile, de ne plus avoir d'avenir ennuyeux à construire, et de vivre enfin, de pouvoir dire à ma mère "il me reste si peu à vivre, tu ne peux pas m'empêcher de vouloir voir ça et ça et ça avant de mourir". C'était peut-être simplement que je préférais un an vécu entièrement et complètement que des années et des années à devoir lui rendre des comptes.


On a beau savoir qu'on est les seuls acteurs de notre bonheur, on ne peut parfois s'empêcher de s'encombrer d'un lourd passé. On a beau savoir que l'avenir n'est que ce qu'on choisit d'en faire, il est parfois dur de laisser de côté ce qui fait notre présent pour avancer. C'est pour ça que j'ai peur. Peur de tout ce que je garde en moi, de toute cette rancune, et de tout le poids de ces morts inconnus qui m'habitent. Le poids de cette famille que je n'aie pas choisie, de cette famille qui m'a permis d'être où j'en suis aujourd'hui, mais me retient parfois pour aller plus loin. J'ai appris à avancer, j'ai appris à ouvrir les yeux... Il me reste encore à ne plus regarder en arrière.
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Re: Passé présent ?
Posté par ocean'hearth le 25/09/2008 14:43:25
Toujours aussi beau !
:)(f)
Re: Passé présent ?
Posté par meony le 24/09/2008 17:20:51
Je pense que beaucoup peuvent plus ou moins s'identifier à ton texte...

Deuxième article que je lis de toi, décidément tu as une belle plume :)
Re: Passé présent ?
Posté par kamelia200 le 21/09/2008 19:42:08
presque je vis la meme chose, j'ai été étonné quand j'ai lu cet article, on dirai que c'est moi qui l'a ecrit, bravo "terminaison" continue!
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L'auteur : On revient toujours Quand la nostalgie vient nous prendre
37 ans, Bled (France).
Publié le 21 septembre 2008
Modifié le 30 juillet 2008
Lu 1 846 fois

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