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Le Foudroyé

Une forte odeur d'ozone flottait dans l'air ionisé. Des crépitements discrets se faisaient entendre sous les roulements du tonnerre. La foudre venait de s'abattre, un homme était tombé.


Une forte odeur d'ozone flottait dans l'air ionisé. Des crépitements discrets se faisaient entendre sous les roulements du tonnerre. La foudre venait de s'abattre, un homme était tombé. Étendu sur le trottoir poussiéreux, le souffle court et les membres paralysés par les contractions musculaires, il venait d'être frappé par l'éclair. En pleine rue, entouré d'immeubles gigantesques, et c'est lui, petit être anonyme, noyé au milieu de la foule aveugle, que le tonnerre avait choisi. Sans raison. Sans distinction. Où du moins le pensait-il alors. Balayé par l'un des phénomènes les plus aléatoires qui soient. Vingt cinq ans, tout juste diplômé, et emporté par une simple décharge électrique. Peut on faire plus malchanceux ? Il en bouillait de rage, effondré qu'il était sur le sol, incapable de commander à son corps tandis que les badauds morbides s'émerveillaient et les âmes charitables accouraient pour lui venir en aide.
Mort, il le serait bientôt. Il se sentait déjà l'esprit plus clair, plus perçant qu'auparavant. Plus aucune sensation ne lui parvenait, et c'est avec une horreur résignée qu'il voyait ses membres tressauter comme s'ils n'allaient jamais trouver le repos.

Mais contre toute attente, la mort ne sembla pas vouloir de lui, n'en déplaise au ciel. Il survécut malgré tout. Il s'en sorti indemne, sans la moindre séquelle. Bientôt, ses membres cessèrent de trembler, et il retrouva son équilibre, sa voix, sa mobilité. La douleur disparut, comme elle était venue. Ne restait que cette incroyable limpidité, cette vision pénétrante qui ne devait plus jamais l'abandonner.
Le défi qu'il représenta dès lors pour Zeus ne lui apporta que souffrance et terreur. La foudre continua depuis ce jour à le poursuivre, où qu'il se rende. Et il survécut à chaque nouvelle tentative de l'orage. Il fut touché, encore et encore. La lumière, le silence, puis le tonnerre se ruait dans ses oreilles, comme si la douleur qui lui vrillait le corps ne lui ne suffisait pas. Mais chaque fois il se relevait, plus déterminé à vivre. Il finit par ne plus y prêter attention. A chaque orage, il courait se réfugier sous un porche ou dans un magasin, le premier sous lequel il pouvait se précipiter, qui essuyait alors le courroux du ciel pendant parfois plusieurs heures, éclair après éclair. Lorsqu'il n'avait pas le temps de se mettre à l'abris, il endurait alors la foudre dix ou quinze fois avant que le ciel ne cesse sa furie. Encore et encore, il se redressait, et reprenait son chemin, vaporisant dans un grésillement les gouttes d'eau qui ruisselaient sur sa peau.
Chaque nouvel assaut le rendait plus perplexe, plus suspicieux. La foudre n'obéissait désormais plus au hasard, violant l'ordre établi, dans le seul but d'abattre la proie qui osait lui tenir tête. Son corps aurait-il pu développer, à son insu, la capacité terrifiante d'attirer le châtiment divin ? Il en était même venu à croire que les orages ne se formaient que par le simple fait de sa présence. Il voyait les nuages se ruer au dessus de lui, le ciel s'obscurcir, sentait le vent se lever et faire claquer les vêtements. Et soudain, le déchaînement des éléments, dans leur implacable violence. Ses doutes à ce sujet, et sa détermination à vérifier cette folle supposition, grandissaient chaque jour au plus profond de son crâne.
Après de nombreuses années de recherche, d'enquêtes et de marchés douteux, qu'il poursuivit en Russie, aux Etats-Unis, et dans bien d'autres contrés étrangères, il parvint à réunir les notes du plus grand savant qui se soit jamais penché sur la question : Nikola Tesla. Il mit plusieurs autres années à compulser ces notes, à reproduire certaines expériences oubliées de tous, rejetées et méprisées par la physique moderne. Il s'était résolu à installer un générateur autonome, au fond d'une cave délabrée mais à l'abri, car la foudre qui s'abattait sans cesse sur son laboratoire, l'aurait empêché de poursuivre plus avant ses travaux, et ce malgré les paratonnerres qui ornaient comme autant de flèches le toit noirci et toujours fumant de la bâtisse. Travaux qui au terme de nombreux efforts, finirent par aboutir. Après plus de dix ans de réflexion, d'échecs et de succès grandissants, il comprit comment et pourquoi il attirait la foudre. La méthode par laquelle son corps la canalisait. Et surtout, le secret ultime de la conservation. Il avait enfin saisi pourquoi son esprit lui paraissait plus clair, plus limpide après chaque éclair. Pourquoi il s'en remettait toujours. Pour quelle raison la mort n'était jamais venue réclamer son du. Et il se devait d'annoncer à la communauté scientifique le moyen de reproduire cet exploit, développé naturellement par son organisme. Car il avait démontré la possibilité de le reproduire de façon artificielle, et hors de toute conception biologique. Il en avait déjà tracé le plan, celui d'une machine incroyablement complexe, capable de créer et d'entretenir les orages, et d'emmagasiner sans fin les éclairs qu'elle attirerait. Sans fin... Il venait d'offrir au monde une énergie infinie, digne des plus grands rêves de l'Humanité. Une énergie capable de supplanter toutes les autres, au-delà de l'entendement. Les éclaires frapperaient sa machine jour et nuit, à chaque instant, fournissant la lumière, la chaleur, l'électricité à tous, gratuite et illimitée.

On lui accorderait tous les prix de distinction, on en inventerait sans doute même pour lui. Il serait porté aux Nues, adulé. Et pourrait enfin se consacrer au moyen d'arrêter le processus qui continuait à opérer inlassablement dans son organisme. Porté par l'enthousiasme, il ne prêtait plus attention au son de l'orage et de la foudre, qui continuait son vain travail de sape sur l'édifice. Euphorique, rayonnant, il s'offrit une grande rasade de l'alcool le plus fort qu'il put trouver, et ce alors qu'il n'en avait pas bu une goutte depuis son adolescence. Le feu liquide lui ruissela dans la gorge, rappelant les douloureux souvenirs de ses jeunes années. Ses travaux l'avaient usé, vieilli prématurément. Mais seul son esprit souffrait de cette maturation trop précoce. Car son corps, comme préservé par l'énergie qu'il emmagasinait, présentait encore et toujours le même aspect que le jour où, frappé par la foudre pour la première fois, il s'était relevé, plus vaillant que jamais. Et aujourd'hui, l'aboutissement était proche. Si proche... A portée de main... Ce qu'il avait découvert allait faire du bruit, et couvrirait pour toujours celui du tonnerre. L'eau de feu se diffusait maintenant dans ses veines, amplifiant ce sentiment d'invulnérabilité et de puissance qui était né en lui. Sans doute l'avait il mérité. La foudre est un ennemi contre lequel peu de gens peuvent se targuer d'avoir survécu.

Mais comment aurait il put savoir que l'alcool, qui se répandait sournoisement dans son sang, augmentant les battements sourds de son cœur, injectant son vénéneux parfum dans ses membres, noyant son cerveau dans une brume apaisante, faussait également la réaction si fragile et complexe qui s'opérait au plus profond de son corps, réaction chimique qui lui permettait de survivre et de dérober à la foudre sa puissance. Et c'est ainsi qu'ivre, il sortit, sourd à l'orage qui s'acharnait depuis des années au dessus de son laboratoire isolé, pour mettre le ciel au défi de l'arrêter, encore une fois. Une dernière fois. Il avait trouvé le secret qu'il dissimulait au plus profond de lui, il avait vaincu les cieux. Mais cette fois, ce fut l'éclair qui sortit victorieux. Lui ne se releva pas.
Et l'Humanité ne devait jamais savoir que le secret de la foudre avait été à sa portée.
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Re: Le Foudroyé
Posté par sterne le 28/08/2005 20:34:22
"il reprenait son chemin, vaporisant dans un grésillement les gouttes d'eau qui ruisselaient sur sa peau" .
Certaines descriptions, telles que celles-ci, cumulent images et figures de style remarquables.

Qu'il est agréable de lire un article sans une faute d'orthographe ou de syntaxe toutes les 2 lignes, et avec un éventail de vocabulaire relié aux sens et où les éléments s'y retrouvent (l'ozone et le ciel pour l'air, la pluie pour l'eau , le tonnerre et l'alcool pour le feu, ...)

Du moins, c'est ainsi que j'ai perçu cet article. (car, oui, il s'agit bien là d'un article.)

Certes, la fin m'a parue frustrante, non pas parce qu'il "ne pouvait pas survivre ..." mais parce que dès que j'ai lu la "rasade de l'alcool le plus fort ..", la perte de l'homme s'était dévoilée. (pour moi "rasade" = razzia, raz de marée = mort assurée).

L'histoire n'en reste pas moins délectable.
Re: Le Foudroyé
Posté par vlad le 28/08/2005 16:20:55
Hum, on peut voir les choses comme ca, certainement, si on attend une explication, une fin plus "palpitante". Mais dès le départ, j'avais dans l'idée qu'il ne pouvait pas survivre eternellement à cette foudre qui s'acharnait. Il devait en mourir, tout simplement. Et le fait qu'il meurt, sans avoir eu le temps de tout révéler, est, je pense, l'interet de la nouvelle, par le sentiment de frustration que celà provoque ^^
Après, chacun est libre de comprendre et d'interpréter sa lecture comme il l'entend, mais c'est dans cet esprit là que je l'ai écrite.
Re: Le Foudroyé
Posté par chandlermbiing le 28/08/2005 15:20:30
un début vraiment bien, vraiment intéressant. Mais la fin est baclée... surtout au niveau de "l'esprit éclaircit"

le problème c'est que la fin normalement c'est ce qu'il y a de plus dur parce que c'est là que tu explique les idées que tu as présenté... et si les idées tu les as pas...
Re: Le Foudroyé
Posté par donna987 le 28/08/2005 10:23:45
J'ai beaucoup aimé ! C'est très bien écrit et l'idée en elle-même est excellente ! bravo
Re: Le Foudroyé
Posté par balthazar le 28/08/2005 10:17:08
n'aurait-tu pas été frappé par un eclair pour avoir cet esprit si clair ? une ecriture d'un style que j'apprécie, digne d'un maitre (de mon maitre ?) ^^
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Publié le 28 août 2005
Modifié le 27 août 2005
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