| La mort comme marraineUn conte traditionnel, en fait un mélange de deux contes, remasterisés à ma sauce...L'histoire hautement dramatique que je m'apprête à vous conter, se passe dans une famille Bretonne. Une famille, plus que modeste.
Il y a le père, la mère, et les douze enfants, oui douze...
Jordan ; Bryan ; Dylan ; Kimberley ;Ashley ; Andy ; Brendy ; Johnny : Suzy ; Loana; Tennessée et jean_Claude.
Le père de cette joyeuse marmaille, bien qu'aillant parfois du mal à joindre les deux bouts, a toujours réussi, grâce à ses nombreux amis et à son sens inné de la débrouille, à trouver, pour chacun de ces enfants, un parrain, et une marraine.
Mais voilà que par cette douce soirée de Mai, l'enfant numéro treize commence à montrer sa tignasse brune entre les cuisses maternelles.
Et tandis que l'aîné des enfants va prévenir le docteur, papa part à la recherche d'un parrain et d'une marraine.
Seulement voilà, tous les habitants de la bourgade sans exception, ont déjà été mis à contribution, il ne reste plus personne à exploit... à solliciter, pour prendre soin de numéro treize.
Papa rentre bredouille à la chaumière, aussi frustré qu'un aveugle dans un camp de naturistes.
Dans la chambre, maman tiens le petit dans ses bras, il braille à s'en décrocher les gencives, il a faim. Le haussement des épaules paternelles répond au regard inquisiteur maternel.
_ "J'ai trouvé personne...
_Quel malheur, c'est un garçon, nous l'appellerons Jean Detrop"
C'est un peu plus tard dans la soirée, qu'on a frappé à la lourde porte de la chaumière.
Un inconnu se tient là.
Un homme grand et solide, portant manteau épais et chapeau de feutre noir, une canne finement sculptée dans la main gauche et un regard bleu perçant qui vous pénètre l'âme aussi facilement que le couteau pénètre la motte de beurre salé moulée à la louche.
_ "C'est à quel sujet ? A demandé le père.
_Je suis le parrain de Jean Detrop. A dit l'homme en pénétrant dans la pièce alors qu'il n'y avais même pas été invité.
Je m'en occuperais et le soignerais comme s'il était mon propre fils, il fera des études et ne manquera jamais de rien.
Trop soulagé pour poser des questions, le père a tout de même osé :
_Un parrain, c'est bien, mais, et pour la marraine ?
_Ne vous inquiétez de rien, je vous présenterais demain la marraine, ha oui parce que demain on baptise le petit."
Ainsi fût dit ainsi fût fait, le lendemain matin, les tables sont sorties et le prêtre est appelé, afin de baptiser Jean Detrop.
Les tables sont sorties mais il n'y a malheureusement pas grand-chose à mettre dessus pour contenter les invités.
De l'eau fraîche, quelques navets, du pain de piètre qualité.
En même temps, ce n'est pas très grave, parce que les amis et voisins ont du mal à pointer le bout de leur nez, la veille ils ont tous refusé de Parrainer Jean Detrop. Néanmoins il y a là le père la mère la fratrie et le parrain.
Le prêtre fait son office ;
Aléa jacta est, es spiritum sancti, vade-mecum fluor et plantes... Et lorsqu'il demande au parrain et à la marraine de l'enfant de s'avancer.
Une calèche noire, tirée par des chevaux noirs, fait son entrée.
Elle s'arrête à quelques mètres de là.
A l'intérieur de la calèche on entend :
_ "Je ne pourrais souffrir que la famille et les amis de mon cher filleul, n'aie rien à manger, en ce jour si particulier".
Et voilà que les tables se retrouvent recouvertes de viandes fumantes, de vins délicats de pains blancs énormes, de vaisselle somptueuse. De fruits dont personne n'avait encore entendu parler...
Du coup les voisins se font un peu moins prier pour venir assister à la cérémonie.
Ils s'attablent, boivent, mangent, lèvent leur verre à Jean Detrop, mais lorsque de la charrette descend la marraine...
Recouverte d'un tissus noir sans début ni sans fin, visage invisible sous une capuche épaisse, une faux à la main, la main sans chair, sans muscle, des os...
Sa marraine, c'est la mort.
Quelques années plus tard, Jan Detrop a grandi, et bien grandi.
Il s'est instruit et n'a manqué de rien. Sa marraine la mort lui a même fait un cadeau magnifique, elle lui a promis une vie de mille ans !
Aujourd'hui elle vient lui rendre visite.
_ "Voilà le moment de te choisir un métier, mon filleul.
_Un métier ? Je n'y avais pas encore pensé...
_Très bien, tu seras médecin, un grand médecin.
_Médecin ? Mais comment ? Je n'ai pas étudié la médecine, je ne connais ni le latin, ni les os, ni les maladies...
_Tu ne dois pas t'occuper de tout cela ! Lorsque l'on t'appellera pour visiter un malade, je serais avec toi, toi seul pourras me voir.
Si je me trouve à la tête du lit du patient, alors tu pourras faire appeler le prêtre et le notaire, car il mourra. Si au contraire je me situe au pied du lit, tu donneras au patient ceci, à boire, et il guérira.
Au début, il faut bien dire que les gens ne faisaient pas tellement confiance à Jean Detrop, ils préféraient appeler leur médecin habituel. Mais lorsqu'au bout de trois fois, dix fois, quinze fois il réussi à ne jamais se tromper sur le pronostic vital du patient, c'est lui, qui devient le médecin habituel.
On vient le chercher de très loin, qui pour un frère, une mère, une sœur, et jamais Jean Detrop ne se trompe.
Un jour, c'est la fille d'un richissime notable d'une ville voisine qui tombe gravement malade.
L'un des employés de maison de ce richissime vient du même village que Jean Detrop, c'est donc naturellement qu'il le fait venir au chevet de la pauvre jeune fille.
Dans la chambre se trouvent ses parents. La maman de la jeune fille se jette au pied de Jean Detrop :
_ "Voici ma fille, elle est très malade, nous avons fait venir les meilleurs médecins, rien n'y fait, je vous en supplie, Jean Detrop, auscultez la, et s'il y a quelque chose à faire, je vous en prie faite-le.
Je vous donnerais tout ce que vous désirez. Si vous la sauvez, je vous la donne en mariage.
_Oui, heu, laissez moi d'abord la voir.
Elle est magnifique. Blanche et maladive, mais magnifique, son visage est doux et fin, ses cheveux d'ébène sont délicatement posés sur les oreillers blancs. Jean Detrop l'aime déjà.
Le seul problème, c'est que la mort est à la tête du lit.
Comment faire ? Jean Detrop ne peut pas la laisser mourir, il veut qu'elle vive, et il veut vivre avec elle.
_Elle vivra, je sais comment la guérir, retournez le lit.
Et faites lui boire ceci".
Effectivement trois jours plus tard, la jeune fille est au mieux de sa forme et les noces sont en pleines préparations.
Seulement voilà, il y a quelqu'un qui n'est pas content de s'être fait avoir comme ça.
_ "Jean Detrop ! Comment as-tu pu me trahir ainsi ? Moi qui me suis occupé de toi comme de mon propre enfant ? Tu m'as trompé !
_Je sais, pardonne moi, marraine, je t'en prie, j'étais sous l'emprise de l'amour, je ne pouvais pas la laisser mourir. Je t'en prie, pardonne moi... Pardonne moi et accorde moi un service.
_Un service ? Après le coup que tu viens de me faire ?
_je t'en prie, donne à ma femme le même cadeau qu'à moi, donne lui une vie de mille ans...
_Est ce que par hasard je ressemble au Père Noël ? Ai_je un bonnet rouge et un gros bidon stupide est ce que tu m'as déjà entendu dire hohoho ?
_Mais marraine, si je vis mille ans, je vais la voir mourir, et nos enfants, et nos petits enfants, je ne pourrais le supporter...
_Il n'en est pas question !
_Je vois, marraine.
_Qu'est ce que tu vois ?
_Je vois que ton pouvoir, que je croyais sans limite, ne l'est pas tant que ça... Tu ne peux pas donner mille ans à ma femme.
_Bien évidement, je peux, mais je ne veux pas.
_Même si tu voulais, tu ne pourrais pas, tu l'as fait une fois pour moi, mais c'était un coup de bol, tu ne peux pas le refaire, tu n'es pas assez forte !
_Nan mais à qui crois tu parler, avorton de bas étages ? Tu m'as prise pour une magicienne de fête foraine ?
_D'accord, alors si tu es si forte, prouve_le...
Rentre dans cette fiole ...
_Rien de plus simple.
Et voilà la mort qui entre en entière dans le flacon.
_Et bien marraine, tu ne sortiras d'ici que lorsque tu seras d'accord pour accorder mille ans à ma femme !
_Laisse-moi sortir immédiatement !
_Tu peux te brosser, Martine !
_Je ne m'appelle pas Martine !
_Je m'en fous, je t'appelle comme je veux ! Alors Martine, ça va Martine, pas trop serrée Martine ?
_Jamais, je ne donnerais mille ans à ta femme, tu entends ? Jamais !
_Et ben tant pis, tu resteras dans cette fiole et tu mourras dans cette fiole !
_Je suis déjà morte, espèce d'abruti !
_Et ben bien fait !"
Douze ans. Ca a duré douze ans. Douze ans pendant lesquels la mort n'a pas pu faire son travail.
Tant mieux me direz vous, plus de mort, c'est génial, c'est fantastique, donnons nous la main et allons cueillir des fleurs dans la prairie.
Et bien non !
Plus de mort, ça veut dire, engorgement des maisons de retraite, plus de travail pour les jeunes puisque les vieux continuent à bosser, plus de place dans les hôpitaux car les malades restent malades mais ne meurent pas.
Les notaires au chômage.
Les prêtres aussi, à quoi bon croire en Dieu si l'on a plus peur de la mort ?
Les gens n'ont plus peur, il se mettent à faire des choses stupides comme sauter du toit des immeubles, jouer à la roulette russe, rouler comme des tarés à contresens sur l'autoroute. Et comme ils sont occupés à faire n'importe quoi, ils ne vont plus travailler, ils ne s'occupent plus de leurs enfants, et n'en font pas d'autres...
Bref, c'est la catastrophe.
Voyant cela, Jean Detrop se dit qu'il vaut mieux laisser tomber, et préfère libérer sa marraine.
_ "Ha bah quand même ! Ce n'est pas trop tôt.
Allez, ne sois pas triste, pour te récompenser d'avoir pris la bonne décision, je ne donne pas mille ans à ta femme, mais je reprends les tiens. Vous vivrez tout deux une vie d'humains, une vie magnifique.
Maintenant excuse moi mais j'ai du boulot à rattraper."
Voici comment Jean Detrop, né d'une famille plus que modeste, a vécu une vie de roi, une vie heureuse, une vie humaine. | | |
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