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A la fenêtre noire

Une petite histoire, un petit hors d'oeuvre. Pas grand chose, juste un bout de vie, une métamorphose.


Une fenêtre noire comme la suie ne présage rien de bon. Et quand elle est fermée, c'est pire encore. Depuis la largeur de ses carreaux, personne ne peut être vu, ou même entendu. Elle tremble à la ronde et fait des clins d'œil à tout le monde comme si c'était évident. Pourtant, désespérément, elle n'offre rien. Rien, sauf quand on s'y habitue, et que nos yeux; se tuent.
De cette fenêtre noire là, on voyait un champ de blé. Immense, comme un Eden un peu retranché et scandaleusement modernisé. De cette fenêtre là, on voyait le monde s'étendre peu à peu et s'offrir à soi, comme une fleur à déraciner, comme une surprise à découvrir une fois encore. De cette fenêtre là, on voyait le jaune d'un champ de blé se mélanger au rouge immaculé de l'église qui lui faisait face. De cette fenêtre là, on voyait un terrain entièrement recouvert de pétales noires et rouges, tombées là par hasard comme sur un champ d'ennui. Elles étaient tombées ici de décrépitude, de désespoir, de ce mutisme terrible auquel on est contraints quand on n'aime pas. De loin, le paysage ressemblait donc à une immense coccinelle qu'on aurait regardée au travers d'un gigantesque retourneur de couleurs. Les blés, qui laissaient balancer leurs graines dans la froideur des jours d'automne, étaient d'un jaune si fade que, si l'on n'obligeait pas nos yeux à les apercevoir, ils restaient totalement inaperçus.
Il y avait, dans cet endroit, comme un sentiment de déception, qui s'alourdissait avec le temps. Le silence ambiant s'était engouffré dans toute la prairie et hurlait ainsi incessamment dans les âmes des habitants. Heureusement, il n'y en avait que peu. Juste cette famille qui, la plupart du temps, vivait la nuit, et celle du petit Jesse Adpoum qui photographiait chaque jour la vue de sa fenêtre. C'était lui, d'ailleurs, qui avait peint la fenêtre en noir. Cette idée lui était venue au bout de quelques années de vie lorsqu'il s'était rendu compte, non sans en être attristé, que rares voire inexistantes étaient les fenêtres peintes, de l'intérieur du moins, en noir. De fait, depuis, il passait le plus clair de son temps accoudé à cette ouverture sur l'imaginaire. Il lui semblait voir en face de lui un océan gigantesque; noir des cendres des marins qui y auraient péri, rouge de leur sang. Il y voyait l'étape à surpasser pour pouvoir trouver la vie réelle, et c'est pourquoi il n'acceptait jamais d'aller dans la grande ville. Pour lui, le monde entier n'était qu'un champ de blés qui voltigeaient et ne lui offriraient jamais aucune sécurité. Et cette idée, que la vie était comme une incessante aventure pittoresque, sans sécurité aucune, lui plaisait vertigineusement. Dès sa prime jeunesse en effet, il s'était fait de cette plaine l'image d'une étape insurpassable; qu'il ne traverserait que le jour où il serait devenu grand. Il s'était donc également fait une vision repoussante de la collectivité. Réticent comme il l'était à toute forme de vie en société, ses parents avaient commencé par l'éduquer au sein de leur maison, dans l'enceinte même de sa chambre. Puis, ils avaient fait venir une préceptrice très jolie et très désagréable que le petit Jesse avait décidé de traumatiser. Et finalement, face au chaos de cette nouvelle tentative, ils avaient décidé de confier la charge éducative de leur petit monstre à plusieurs personnes. Celles-ci, couronnées de plus ou moins de succès, avaient ainsi, pour finir, réussi à le calmer.
D'une manière générale, le soir, après qu'il eut fini de travailler ( ce que, au contraire de tous les autres enfants de sa génération et des suivantes, il adorait faire ), il s'asseyait au devant de sa fenêtre et regardait. Scrutait la vue jusqu'à voir en chaque mouvement des blés la houle des vagues sur le triste et glacial Océan Atlantique.
Jesse était également un petit garçon insensément épris de lettres; de lettres, de mots, de phrases et de vers. Le plus grand sacrilège était pour lui les pages blanches, qu'aucun mot n'avait jamais fait changer. Et sa plus grande haine était vouée aux conversations, qui usaient les mots dans leur forme la plus insalubre et saumâtre. Il aimait, au contraire, les longs romans qui en disent cent fois plus qu'on ne leur en demande, et qui, en laissant les mots guider les choses, étaient pour lui comme un acte d'humilité envers la littérature. Car du fond de son âme, il s'était dévoué tout entier à la littérature. C'était peut-être pour cela aussi qu'il restait seul, pour ne pas se permettre de la profaner en allant vivre ailleurs des évènements qui auraient pu ressembler à des lignes romanesques fabuleusement écrites. Oh, et puis pour finir il aimait la photographie; passionnément aussi. Puisqu'habitué à voir de sa fenêtre changer le monde au rythme de la vie; puisqu'habitué à voir, de jour comme de nuit, à presque tous les instants de sa vie, le même paysage changer à petits grains, il avait nourrit une fascination pour l'image. Il avait une véritable passion pour les visions qui se terrent en elles-mêmes et ne changent plus face à celles qui se renouvellent, font nouvelle peau à chaque millième de seconde, et n'ont de cesse d'évoluer. Je disais bien également; il voyait les choses au rythme de sa vie, car pour lui, l'heure n'était pas. Il n'existait qu'une succession insignifiante de jours et de nuits: les anniversaires, les dates et les heures ne signifiaient rien pour lui. Il ne s'en souciait pas. "De toutes les façons, professait-il, les aiguilles d'une pendule ne reflèteront jamais le rythme véritable de nos vies." De là était ainsi née toute sa philosophie, et toutes ses manières de vivre la vie.
Cependant, malgré sa solitude, qu'il aimait plus que tout autre chose, Jesse n'était pas vraiment en opposition directe avec la réalité. Car dès que ses yeux se fermaient et que son âme le faisait voyager dans des contrées de toutes formes possibles et imaginables, il voyait les populations, ces gens qui se levaient, qui riaient, râlaient ou pleuraient en fonction des heures du jour. Il voyait mille enfants, si semblables à lui et toutefois si différents, et surtout dès qu'il fermait les yeux il voyait ces fenêtres, blanches, blanches comme cette neige qu'il avait vu tomber sur son champ, il voyait ces fenêtres blanches, blanches comme ces pages de livres oubliées des mots qu'il aimait plus même que lui même. Il voyait ces fenêtres blanches, blanches comme les nuées, et blanches comme l'ange qui allait bientôt venir redécorer sa petite vie...
Car au soir de sa six millième nuit, un éclair s'écrasa dans la plaine. Et quand il vit, sur son champ, un trou immense de la grandeur d'une météorite, il s'enfuit; en unisson avec les étoiles filantes, rejoindre les anges. Qui l'attendaient, là bas, ayant déjà repeint pour lui la petite fenêtre de l'Eden. En noir.
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Re: A la fenêtre noire
Posté par blow le 07/03/2008 11:15:11
Bonjour, mutos!
Désolée de répondre si tard, mais j'ai eu quelques problèmes Internet et les ondes me furent interdites durant quelques temps... Et puis, le temps libre aussi m'a échappé. Alors pardonne moi.
Je voulais te remercier d'avoir laissé un commentaire, qui m'a d'ailleurs fait bien réfléchir et m'a beaucoup apporté. Je suis contente, d'ailleurs, que ce texte ait plu au moins à une personne. Ca m'a laissé rêveuse, et je l'ai repris depuis... Je ne sais guère s'il est mieux, mais plus tard j'apporterai les modifications sur ce site.
En tout cas, merci pour ce commentaire; et merci d'avoir au moins été jusqu'au bout de ce texte ... Ca compte pour moi.
Alors merci. Je vais y travailler.
Bonne journée.
blow.
Re: a la fenêtre noire
Posté par mutos le 12/01/2008 08:41:06
Bonjour à tous,


Félicitations, blow, ton texte est très prometteur. Il y a de l'émotion, de des description, quelque chose d'indéfinissable, je dirais du talent. Maintenant, il y a aussi du travail pour le mettre en forme. Tel qu'il est ici, il faut s'accrocher pour le lire et certaines tournures sont impropres. Je ne parle pas ici de celles qui, décalées, lui donnent cet aspect surréaliste que j'apprécie fortement !

Ce que je peux te conseiller, c'est de le reprendre en séparant d'abord bien les paragraphes là où tu sent qu'ils doivent être en lisant le texte. N'hésite pas à sauter des lignes, voire à scinder encore les paragraphes dès que tu sens qu'ils deviennent trop lourd. Ainsi, il deviendra facile à lire, il prendra sa respiration, son rythme qui actuellement est caché. Puis, il te faudra relire chaque mot : est-il là pour produire une impression ou bien pour coller à une réalité ? Correspond-t'il à cette impression ou à cette réalité ? Pourquoi ce mot et pas un autre ? Toi seul as la réponse et parfois il te faudra longtemps chercher en toi pour la trouver.

Eh oui, le classique 90% de travail pour 10% d'inspiration ! Mais pour moi, ce texte vaut le coup que tu prennes un peu de temps pour le polir et en faire ressortir l'éclat ! Il est comme un diamant non taillé : il jette déjà quelque lumière, mais ce n'est rien par rapport à ce qu'il pourrait devenir...


@+

Benoît 'Mutos' ROBIN
Projet Hoshikaze 2250

Modifié le 12/01/2008 08:43:25
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L'auteur : Laëtitia Flow
35 ans, Montreuil (France).
Publié le 12 janvier 2008
Modifié le 13 août 2008
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