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Teddy Tamgho s'envole au dessus de Moscou
Posté par rmcriolo le 03/10/2013 00:00:08
Jean-Hervé Stievenart a été le premier entraîneur de la carrière de Teddy Tamgho. Il n'était pas dans l'enceinte de Lujniki hier après-midi pour voir le sacre mondial de son ancien poulain mais même derrière son poste de télévision, l'émotion était la même "je suis ému, non pas de surprise car je savais qu'il avait tout pour dominer le triple saut mondial à un moment ou un autre, mais parce que le faire si vite après deux années très compliquées est quelque chose de réellement exceptionnelle". Puis vint l'instant souvenir qui accompagne le plus souvent des moments pareils "je le revois encore sur son ordinateur à regarder inlassablement les plus grands triple sauteurs de l'Histoire. Il analysait tout et essayait de refaire la même chose au prochain entraînement. Je ne sais pas combien de fois il a vu le bond de Jonathan Edwards lors de son record du monde en 1995 où il avait aterri à 18,29m mais les doigts de la mains ne suffiront assurément pas".
En parlant du Britannique, maintenant journaliste au sein de la BBC, il n'a jamais tenté de dissimuler son petit faible pour l'athlète français. Lors de son titre mondial en salle remporté en 2010 à Doha où Teddy Tamgho s'était emparé du record du monde en salle après un saut à 17,90m, le "Goëland", comme on surnomme le sauteur londonnien, n'avait pas hésité à déclarer "Teddy est un talent pur. Il est très jeune mais va déjà si loin. Dans une discipline où l'expérience joue une place prépondérante, ou au moins plus importante que dans d'autres sports, on se dit qu'il est très prometteur. Physiquement, il a tout". Une année plus tard, quand le Français améliorait son record de deux centimètres (17,92m réalisé à Paris-Bercy lors des Championnats d'Europe en salle), le recordman du monde en plein air avait confirmé "il est très régulier en plus. Il travaille pour rester au niveau. Il appréhende bien les grosses compétitions alors que sa jeunesse pourrait lui faire péter les plombs mais il a la maturité de faire des grosses performances aux bons moments". Lors des qualifications, quand Teddy Tamgho avait dépassé les 17,40m en toute décontraction, il avait, avec son sourire malin caractéristique, dit "sur sa course d'élan, il a marché ou, au mieux, il a trottiné mais son jump suffit. C'est lui qui sera champion du Monde dimanche. Il y a un fossé entre lui et les autres. Et je ne prends pas de risques en disant cela. Il a des ressorts directement implantés sous les pieds. Il en donne l'impression en tous cas".


Deux années galères

Qui aurait bien pu le croire pourtant, il y a encore quelques mois ? Quand Teddy Tamgho revenait timidement sur les meetings et reprenait contact avec la compétition sur la pointe des pieds. Il remettait les pointes après deux années galères sur tous les plans. Sur sa lancée du titre européen en salle obtenu chez lui, à Paris, "sa ville" comme il s'amusait à dire, il se tournait vers les Mondiaux de Daëgu avec la casquette, parfois lourde à porter, de grandissime favori. Mais, par pure gourmandise, il décide de s'aligner sur les Championnats d'Europe Juniors où il se blesse à la cheville droite, qui oblige une intervention chirurgicale. Puis, quelques mois plus tard, il défraie de nouveau la critique mais quitte la rubrique sport en faveur de la moins flatteuse rubrique des faits divers. Au CREPS de Boulouris, il a une violente altercation avec une jeune athlète. De surdoué de l'athlétisme, tout proche des sommets mondiaux encensé par le gratin, il passe, ou plutôt chute, à blessé puis à voyou.
Une époque, pas la plus simple de sa vie encore jeune, qu'il s'évertue à oublier même s'il renie rien "je ne peux pas l'effacer. J'ai fait des erreurs dans le passé que je regrette forcément. J'étais bien plus irritable depuis ma blessure que je vivais très mal. Je n'ai aucune excuse mais je veux qu'on parle de moi pour autre chose que ça. Je ne suis pas ça. Mais de tels moments te montrent qui sont tes vrais amis et ceux qui te tournent le dos".
Avant sa blessure, il avait justement fait appel à l'ancien sauteur en longueur Ivan Pedroso pour passer un cap, parce que Tamgho se sentait stagner, notamment par sa troisième place aux Championnats d'Europe en 2010. Le Cubain avait déclaré "il sera plus fort après sa blessure. Elle va le faire réfléchir sur sa préparation. Il va pouvoir rebondir dans tous les sens du terme. Autant dans sa vie que dans ses sauts". Durant cette periode, Tamgho se retrouve très entouré, notamment par le DTN Ghani Yalouz "c'est facile d'adorer un gars quand il gagne et de le lâcher quand ça va un peu moins bien. J'ai toujours cru en lui et je savais qu'il apprendrait de ses erreurs. Il avait besoin de personnes pour l'entourer et c'était mon rôle. Vous savez, je ne me suis pas forcé. Il est tellement sympa et intelligent. Il connait son sport et le raconte très bien. On pourrait l'écouter pendant plusieurs heures" racontait le vice Champion Olympique d'Atlanta en lutte.
Mais il revient avec une obsession, une seule image dans sa tête. Il veut faire son grand retour lors des Championnats du Monde de Moscou, deux ans après son rendez-vous manqué de Daëgu "je ne pensais qu'à ça. Je voyais à l'entraînement que j'étais en train de retrouver les mêmes sensations qu'avant ma blessure. J'aurais pu avoir peur de la rechute, j'aurais pu avoir l'appréhension de fragiliser ma cheville mais mon envie de regoûter à la compétition était trop grande". Et le gamin, il ne va que sur ses vingt-quatre ans, souhaite mettre toutes les chances de son côté. Il fait attention à son hygiène de vie "il venait chez moi mais il ne mangeait rien. Je m'inquiétais un peu quand même. Je craignais qu'il mette sa santé en danger alors qu'il n'avait rien à prouver. Il me disait qu'il devait faire attention à ce qu'il mangeait parce qu'il ne voulait pas regretter des choses s'il venait à perdre" se souvenait Alice, la mère de Teddy Tamgho.


Troisième homme au dessus des 18 mètres

Avec sa casquette rouge vissé sur la tête, elle était dans le clan français aux côtés de Mehdi Baala, de Ghani Yalouz mais aussi d'athlètes Antoinette Nana Djimou et Christophe Lemaitre en tête. Et elle se mit à crier quand elle vit son fils effectuer un premier saut canon à 17,65m. Mais il demandait à son clan de se calmer parce que le concours ne faisait que commencer. Et le petit avait raison. Malheureusement pour les nerfs de sa mère, "son Royaume" comme il aime à la surnommer, dans la foulée de son premier essai, Pedro Pichardo allait encore plus loin, pour trois centimètres et sûrement que le geste malheureux du Cubain, faisant mine d'égorger ses adversaires, n'eut que la conséquence d'énerver ou plutôt de totiller l'âme de guerrier de Teddy Tamgho.
Mais gagner n'a jamais suffit au Français qui ne voulait faire que le saut parfait, celui qui l'emmennerait à une distance qu'il n'avait jamais connu jusqu'alors. Mais il prenait des risques, trop de risques pour faire la planche parfaite. Au point qu'il mordait, de peu certes, son deuxième et son troisième essais "il était allé au delà des 18,15m et il mord de vraiment pas grand chose" avait regretté sur le coup Jonathan Edwards. Mais en rien cela n'avait affecté le pronostic du Britannique "il est le seul capable d'aller aussi loin. Il a toutes les cartes en main. Il doit assurer un saut pour prendre la tête du concours et après, il pourra se focaliser sur la grosse performance qu'il tient à réaliser". Sa mère, quant à elle, ne demandait qu'une seule chose à son bambin "que tu mordes de deux centimètres ou de dix, c'est la même chose. Arrête de prendre des risques et assure un minimum. Après, tu t'occuperas des 18 mètres".
Comme chacun sait, on ne peut refuser la supplication d'une mère et sur sa quatrième tentative, Teddy Tamgho rejoignait Pichardo avec un saut à 17,68m qui lui suffisait à prendre le dessus, grâce à un meilleur deuxième essai, mais pas à assouvir son appêtit d'ogre. Il reprenait ses mauvaises habitudes et dépassait de peu la planche. Il restait alors un seul saut et tout était encore possible. Et vint de tour de Teddy Tamgho qui bondissait au delà des 18 mètres, 18,04m pour être précis. Cela faisait du triple sauteur français le troisième homme de tous les temps à passer la barre fatidique des 18 mètres après l'illustre Jonathan Edwards et Kenny Harrison. Il s'empara alors du drapeau tricolore et courait vers sa mère "c'est sa victoire, c'est ma victoire, c'est mon cadeau à la France. Je savais que j'étais allé loin mais ce n'était pas le plus important". Il avait une nouvelle fois raison. Le plus important, c'était son retour gagnant et cette Marseillaise qui n'avait pas retentie lors de Mondiaux depuis huit ans...

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