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Fight Club Analyse Séquentielle d'un film Post-Moderne 6e partie
Posté par warrior le 09/06/2010 00:00:02
La vengeance de Jack

Jack va voir son patron pour mettre les choses au point, il lui fait une proposition sous forme de chantage et pour que ce soit plus efficace il s'auto-roue de coups, lui faisant ainsi porter la responsabilité de son état aux yeux du reste de l'entreprise. Il obtient ainsi un licenciement très avantageux avec un fort versement de cash et du matériel. Il pourra désormais se consacrer au "fight club" à 100%.

Nouveau clash entre Jack et son chef de bureau, il s'inscrit dans une logique ascendante provoquée par le comportement changeant de celui qui était il y a peu encore un gentil salarié modèle exécutant les tâches qu'on lui attribuait. Ce face à face diverge en de nombreux points des précédents : D'abord c'est pour la première fois Jack qui va voir son chef, ensuite c'est lui qui va se faire accusateur et sortir grand vainqueur de cet entretien impromptu.
Notons d'entrée l'initiative prise par Jack qui parait contre-nature à l'image qu'il nous a donné de lui jusque-là. Ici il se permet de rentrer dans le bureau de son chef sans avoir eu une réponse affirmative à son toquage à la porte et lance aussitôt un tonitruant "Il faut qu'on parle". C'est assez marrant que ce soit cette phrase précise qui lui vienne en premier puisqu'il s'agit de celle très courante dans l'imaginaire commun qu'utilise un conjoint pour interpeller l'autre moitié du couple avec l'idée de rupture en point de mire. Or la pensée de Jack est à ce moment là de rompre avec son entreprise et par là même rompre avec lui-même puisque c'est la dernière attache qu'il a conservé de son ancienne vie.
Sûr de sa force, son patron débite les habituels reproches qu'il lui envoie depuis des semaines mais il va vite perdre de sa superbe face à l'audace de Jack qui manifeste son ennui devant ce discours rébarbatif et répond d'un cinglant "Je suis l'absence totale de surprise de Jack". Il poursuit ainsi les références à cet organe trouvé à Paper street (cf. Chapitre 14) qui évidemment sont inconnues de son chef qui se braque devant sa réplique. Après tout s'appelle t-il seulement Jack au niveau de sa citoyenneté ? Rappelons que nous utilisons ce prénom pour des raisons de commodités et parce qu'il était celui consigné dans le scénario.
Le discours qu'il va tenir à son chef reprend le procédé utilisé plus tôt par ce dernier, c'est-à-dire une argumentation choc par le chantage devant faire plier un contradicteur qui se retrouve face à un dilemme. Ainsi il lui dit d'imaginer qu'il soit un membre imminent du ministère des transports et qu'il ait en sa possession des informations sur une société mettant volontairement en circulation des mécanismes dangereux et éphémères. Dans ce passage Jack complète sa démonstration sur la logique de fabrication de sa société (cf. Chapitre 8) sauf que le ton a changé, désormais il condamne ces pratiques et veut les retourner en sa faveur quant auparavant il les subissait et les considérait comme un précieux outil de travail.
Le boss croit à un coup de bluff et vire sur le champ Jack, réaction que ce dernier a l'air d'avoir intégrer à son plan puisqu'il lui soumet aussitôt l'alternative de le garder dans l'entreprise par le biais d'un emploi fictif de consultant extérieur sur lequel il n'aura aucun compte à rendre, la part du marché étant pour lui de garder le silence sur ce qu'il sait.
L'absence de psychologie et de pédagogie du chef est bien mise en évidence quand il cède facilement à la tentation des insultes face aux propos concis et argumentés de son subalterne. Pour lui, Jack était quelqu'un d'appréciable tant qu'il satisfaisait au rendement voulu sans poser de questions mais il devient un "connard de merde" dés qu'il ose sortir de son domaine de compétence reconnu. D'ailleurs le chef ne fait même pas l'effort de répondre par les mots, validant donc tacitement la véracité des méthodes criminelles de son entreprise, et se contente de faire appel à la sécurité. Il souhaite virer physiquement et administrativement son salarié comme s'il s'agissait d'un démarcheur venu l'importuner ou d'une personne exerçant des menaces physiques sur lui.
Face à cette lâcheté, Jack sait qu'il ne lui reste pas beaucoup de temps pour enclencher sa mise en scène et il se détruit donc la face dans une volonté de piéger celui qui a contribué à le détruire moralement depuis des années. Il se permet de commenter et de vivre la scène comme si il tombait vraiment sous les coups de son employeur, y allant d'un simulacre pour faire croire qu'il se débat. Il ne se limite pas à se détruire de façon pure et dure, brisant des objets alentours, gesticulant dans la pièce, ... Un stratagème qui fait succéder l'effroi à la surprise dans les émotions ressenties par le bureaucrate assistant impuissant à cette scène. L'efficacité est encore plus grande que si Jack s'était seulement donner des coups de poings sans gesticuler car il l'aurait alors seulement considéré comme un petit malin cherchant une astuce pour fuir le travail alors qu'ici il le considère vraiment comme un fou croyant à la réalité de l'affrontement qu'il mime.
Pendant qu'il s'auto-projette contre le meuble vitré au fond du bureau, Jack nous confie qu'à ce moment précis il a repensé à son premier combat, contre Tyler, et ceci sans aucune logique apparente. Le spectateur peut passer à côté de cette nouvelle indication implicite comme des précédentes mais cette fois on rend le propos plus grave par le biais d'un figement de quelques secondes de l'image de Jack en l'air avant qu'il ne retombe lourdement sur le meuble. Le réalisateur tient à faire savoir que la révélation est toute proche.
Du point du spectateur cette scène renvoie moins à celle de l'affrontement fondateur avec Tyler qu'à celle du hangar (cf. Chapitre 20) où ce dernier encourageait les coups de Lou. A quelques différences près bien entendu puisque Jack, sachant que son patron se range dans la catégorie des personnes sans fierté et prêtes à tout pour éviter la bagarre, il doit avoir recours à cette mise en scène. En revanche le résultat est identique dans les deux cas : ce sont les deux personnes amochés qui obtiennent ce qu'elles réclamaient et les deux personnes socialement plus reconnus qui ravalent leur autorité et leurs intentions. Symbole très fort ce sont les deux cravatés propres sur eux qui s'inclinent face à des sauvageons détruits n'ayant sur eux aucun signe extérieur de gagnants.
Comme nous le précise Jack la défaite de son boss n'est pas tant celle d'une revendication salariale coûteuse mais elle constitue une désillusion pour cet homme et "tout ce qu'il considérait comme allant de soi" telle la soumission béate aux directives de la hiérarchie. Faire traverser à Jack tout le bureau en rampant et en marchant à genoux devant son patron est assez bien vu, on le voit ainsi faire physiquement ce que des millions de salariés font au sens figuré. Eux le font pour rentrer dans ses bonnes grâces tandis que, lui le fait pour l'inverse.
Après avoir obtenu encore plus que ce qu'il voulait, Jack va pouvoir poursuivre l'expansion du "fight club". Pendant un combat d'anonymes il nous raconte les dernières péripéties judiciaires de Tyler avec l'hôtel qui l'employait et conclut sa tirade d'un éloquent "Je suis la vie gâchée de Jack". Cette phrase nous rappelle qu'il vient de rompre avec la dernière chose qui faisait encore son individualité par rapport à Tyler et que désormais les problèmes de Tyler seront les siens. Sa névrose a eu raison de lui.


Projet chaos

Tyler donne régulièrement des nouvelles missions à ses disciples et en effectue lui-même. On les suit dans leurs diverses activités nocturnes.

Séquence rythmée par une musique electro saccadée, elle a pour but de nous faire progressivement comprendre la logique entreprise par Tyler. Derrière chaque acte commis par les membres il y a une idée du monde diffusée. Une conception qui n'a d'ailleurs pas pour but immédiat d'être explicite puisqu'on observe les réactions interdites des victimes des différentes actions qui croient à une forme originale de vandalisme.
En effet, les actions exécutées ne sont pas techniquement très discernables pour le spectateur et les messages débouchant des actes paraissent quelque peu énigmatiques. La fonction de tout cela est de ne pas asséner un message lourd et moralisateur, à la fois aux victimes et aux spectateurs témoins de la scène. Il s'agit d'ouvrir une réflexion sur un nombre considérable de sujets et faire s'interroger le citoyen lambda sur sa condition et le fonctionnement du monde dans lequel il évolue. Il faut bien avoir à l'esprit ce préalable pour ne pas catégoriser trop vite cette séquence comme la propagande d'une quelconque idéologie altermondialiste.
Même après l'avoir vu plusieurs fois il est dur de comprendre ce que font concrètement les chargés de mission : Deux hommes sur un toit éparpillant ce qui semble être des papiers, un autre réalisant un branchement illicite dans un magasin de vidéos, d'autres encore collant une affiche à texte, des trappes dévissées et revissées, des allumages intempestifs de phares de voitures, des pigeons suralimentés dont on récupère la fiente, des dépliants sur des victimes de catastrophe aérienne qu'on place dans les avions, des ordinateurs qu'on détraque. Voilà pour les grandes lignes de tout ce qu'on peut observer. Chaque tâche revêtant sans doute sa part de signification mais se rapprochant assez des autres pour dégager une logique d'ensemble.
Cette séquence enrichit plus que mille mots tous les discours tenus jusque là par Tyler et dit "Ayez conscience que vous reposez sur un modèle qui n'a pas que des vertus".
Par exemple prenons l'affiche collée en lieu et place d'un panneau publicitaire, le message interpelle le consommateur sur la possibilité qui s'offre à lui de fertiliser sa pelouse avec de l'huile de vidange. Sur le fond, il s'agit de lui faire remarquer que plutôt qu'aller acheter tel ou tel produit qu'on lui vend comme miracle il devrait tester ce qu'il a déjà à disposition. C'est un peu à la base ce que serait une recette de grand-mère pour se soigner, une alternative à aller voir un médecin et à se gaver de médicaments rendant léthargiques. Ici c'est l'alternative à des produits tout à fait dispensables.
Sur la forme, ce message pervertit la méthode publicitaire en reprenant ses techniques, l'emplacement bien entendu mais aussi le clinquant qui attire l'œil. C'est un moyen d'assurer la visibilité du message par le badaud moyen habitué à la publicité. Le biais utilisé est le côté information ludique, des lettres jaunes sur fond noir utilisant la maxime "Le saviez-vous ?" pour introniser le message "Vous pouvez fertiliser votre pelouse avec de l'huile de vidange" qui s'étale en gros caractères blancs sur les deux lignes en-dessous. Pour terminer sur ce point ne résistons pas à la tentation de comparer ce type de message avec ceux que diffuse le groupe Massive Attack pendant ses prestations scéniques, la méthode est la même : profiter de bénéficier d'une exposition certaine pour diffuser des idées.
L'attaque des phares de voitures à coup de battes de baseball pourrait sembler de prime abord un simple défoulement sur un produit de consommation que Tyler estime trop luxueux mais dans ce cas les protagonistes frapperaient sans retenue. Or ici ils ne détruisent rien ils ne font que donner un petit impact à leur frappe pour que les phares s'allument d'eux-mêmes. Une interprétation possible consiste à penser que le but est que la batterie s'use pendant toute la nuit pour que les possesseurs des voitures se retrouvent face à un problème technique quand ils voudront s'en servir. Ainsi ils se demanderont peut-être s'ils ne sont pas finalement esclaves de ce qu'on leur a vendu comme un outil, un nec plus ultra du confort moderne et ils connaitront le souci pratique de devoir se déplacer en se mélangeant aux autres, en étant confrontés pour la première fois à des affres qui sont pour d'autres le quotidien. Quid de la voiture épargnée ? Celle qui fait dire à Tyler "Laisse-la" alors que Jack s'apprêtait à y aller de son coup de batte. Eh bien on peut supposer que Tyler la perçoit comme une vraie utilitaire et non comme un outil de valorisation sociale et donc qu'il ne veut pas en priver son propriétaire.
Quant à celle qui déboule en feu au croisement de la rue et qui provoque la fuite du narrateur et de Tyler on peut envisager qu'elle ait été piégée, cela dit ils en sont les premiers surpris.
Durant cet exercice d'allumage de phares, les deux échangent au sujet de nouvelles sections du "fight club" qui sont apparues à travers le pays et déclarent l'un comme l'autre ne pas les avoir initiés. Pour qui connait un peu les Etats-Unis l'impact de cette révélation est encore plus fort à la mesure des villes citées qui sont les chefs-lieux de petits états reculés comme le Delaware. Qu'aucun n'ait le souvenir de les avoir lancés pointe l'absence de conscience de Jack qui même après avoir laissé triompher un versant de sa personnalité ne relie pas les actes qu'il a réalisé sous son identité.
Arrêtons nous aussi sur une des dernières actions qui consiste à placer dans les sièges des avions des dessins subversifs. Ils sont l'extension de la théorie de Tyler sur les passagers d'un crash aux visages "sereins comme des vaches sacrées" (cf. Chapitre 9). Ils interpellent les voyageurs tombant dessus sur la confiance qu'ils acceptent de concéder à une compagnie aérienne et sur les moyens de secours concrets dont ils disposent. De la même façon que le message pour l'huile de vidange pouvait faire penser à Massive Attack, on remarque une similitude troublante entre ces dessins et les diverses illustrations contenues dans les livrets d'albums de Radiohead (notamment ok computer). Le groupe les parsème tout pareillement de messages pour le moins énigmatiques destinés à leurs concitoyens, les incitant à ouvrir les yeux en grand. Rajoutez à cela l'engagement altermondialiste (mais sans étiquette politique) reconnue par le groupe et la passerelle entre les deux univers parait tout à fait recevable.
On termine le chapitre sur Tyler découpant des articles de presse concernant les agissements de son groupuscule activiste, l'occasion de nous révéler d'autres de leurs actes comme l'agression d'un artiste branché, le souillage d'une fontaine, le rasage forcé de singes. A cet instant Tyler incarne la figure du délinquant ego-maniaque conservant toutes les coupures de presse ayant trait à ses actions. Il est aussi et surtout soucieux de la façon médiatique dont son message est relayé et de la capacité des journalistes et de la police à discerner les actes ou à les rapprocher. On peut s'interroger aussi d'une certaine manière sur le fait qu'il soit ou non l'instigateur de tous ces actes, si leur action n'a pas déjà fait boule de neige auprès d'activistes qui les prendraient comme source d'inspiration pour faire bouger le système.


Sacrifice humain

Tyler amène Jack dans une épicerie de nuit avec une idée derrière la tête, celle de braquer le commerçant, non pas pour lui soutirer de l'argent mais pour lui faire peur et l'inciter à faire autre chose de sa vie. On revient à Paper street au matin alors que Marla vient d'y passer une nouvelle nuit et s'apprête à partir en vitesse comme à l'accoutumé, Jack se montre d'abord prévenant avec elle mais sous l'insistance de Tyler il la pousse encore vers la sortie.

Le braquage de l'épicier s'inscrit dans la logique de Tyler qui consiste à réveiller les masses quant à leur fonction dans la société. La phrase introductive du narrateur annonce la couleur "Sur une durée suffisamment longue l'espérance de vie tombe pour tout le monde à zéro" et renvoie à notre existence précaire sur terre, notre sort programmé. C'est un constat implacable dans cette société de l'après, cette fameuse génération X sans "grandes guerres ni grandes dépressions" à laquelle on a réussi à faire croire à un modèle viable pour tous. Tyler s'oppose à tout ce qui ferait s'installer dans l'esprit de l'individu de l'assurance, de la sécurité, des certitudes idéologiques qui le convaincraient de l'utilité de sa fonction sur terre.
Ce qui traduit l'idée selon laquelle sachant que nous sommes seulement de passage nous ne devons pas nous laisser ronger par des contraintes et compromis quelconques qui se dressent face aux objectifs que l'on se fixe et que nous devons vivre de manière débridée. Soit un "carpe diem" gonflé à la levure punk plus qu'un véritable idéalisme.
Avant de se rendre dans l'épicerie, Tyler saisit un flingue dans une des poches arrières du sac de Jack or ce dernier ignorait qu'il s'y trouvait et se montre étonné et réticent envers l'action à venir. Jusque là il a participé à une lutte ponctuée de simples actes de violence alternatifs et n'envisageait même pas être en possession d'une telle arme, celle-là même qui jouera un rôle majeur par la suite, il ne réalise l'ampleur que va prendre la machine qu'il a enclenché.
En contraignant Raymond, l'épicier d'origine Coréenne (personnage classique de la société Américaine), à promettre de reprendre la voie des études, Tyler repousse les limites de ses méthodes de persuasion. Jusque là il n'a pris sous sa coupe que des hommes volontaires et n'a utilisé que des procédés incitatifs pour en remuer d'autres or il se montre ici implacable en le mettant devant deux choix qui n'en sont pas : reprendre un parcours scolaire pour lequel il n'est pas doué ou mourir sur le champ sous ses balles. Il est à parier que la menace de Tyler constitue un énorme bluff mais le menacé n'en sait rien et prend la proposition au premier degré. L'effet recherché se situe dans le même ordre d'idée que celui des actions précédentes : faire s'interroger l'individu, faire résonner dans sa tête la question "qui suis-je ?", l'habituer à aller à contre-courant de tout déterminisme ingéré ou de fatalisme souvent habillé par une croyance en sa destinée. Le sort de l'agressé n'intéresse pas foncièrement Tyler qui n'a pas confisqué son permis à Raymond dans l'optique de réaliser un suivi mais pour donner plus d'impact à sa menace, il s'agissait de le secouer fortement pour lui rappeler qu'un autre chemin est possible et qu'il envisage ses propres recours.
Tandis que l'épicier détale, Tyler lui lance "cours Forrest cours", allusion explicite à Forrest Gump de Robert Zemeckis (1994) qui réinstalle l'air de rien l'idée qu'on se situe dans un univers de cinéma destiné donc prioritairement à des cinéphiles. Le procédé est identique à la scène aparté-caméra détaillant les petits boulots (cf. Chapitre 12) ou celles qui suivront signifiant que l'on évoque une problématique réelle fondue dans l'élément cinéma.
Jack demeure interdit devant la terreur qu'on a fait germer dans le cerveau de ce modeste épicier ce à quoi Tyler répond qu'on lui a au contraire rendu service, "Demain matin son petit-déjeuner aura meilleur goût". L'exemple choisi est parlant pour qui a déjà subit une agression ou ayant de quelque façon que soit eu très peur pour sa vie. Face au sort auquel nous avons échappés, nous relativisons nos problèmes courants dans les jours qui suivent et nous avons à l'inverse tendance à jouir davantage des plaisirs simples que nous méprisions jusque là ou vivions avec un certain dédain. Ainsi Raymond a connu le grand frisson et il sera en quelque sorte pris d'une illumination passagère, accordera plus d'attention à lui-même et à son prochain.
Avant de nous ramener à la maison-squat, une petite transition nous reconduit légèrement en arrière puisque l'on découvre l'explosion de la vitrine contenant des ordinateurs, ceux-là mêmes qui ont été trafiqués dans le chapitre précédent. Un Tyler face caméra, plus inquiétant et hargneux que jamais assène ses convictions sur la condition moderne de l'homme, sa serviabilité qui confine à une nouvelle forme d'esclavage maquillée par la politique de la carotte et du bâton. L'efficacité de cette séquence est renforcé par un écran vrombissant au fur à mesure que progresse le laïus pamphlétaire, comme si le personnage était contrit dans une boite rectangulaire trop étroite, comme si l'écran allait exploser sur les coups de boutoirs qu'il vocifère. Une scène qui nous remémore un autre film aux procédés techniques très riches, Requiem for a dream, qui voyait un personnage emprisonné s'agrippant aux barreaux de sa cellule et suffoquant à cause de son état de manque, là aussi l'écran tremblait sous ses cris. "Vous n'êtes pas votre travail, vous n'êtes pas votre voiture, vous n'êtes pas votre compte en banque, vous n'êtes pas votre portefeuille, ni votre putain de treillis... Vous êtes la merde de ce monde prête à servir à tout". En substituant au "Je pense donc je suis" le "Je possède donc je suis", la société a réduit la condition humaine à ses plus basses fonctions et a installé une concurrence du paraitre. Ainsi l'homme moyen peut être brimé par sa femme, son chef, ses enfants et le supporter grâce aux objets en sa possession qui sont de véritables refuges tels sa voiture, son téléphone portable toutes options, son pantalon de marque, son gigantesque écran LCD sur lequel il regardera un non moins gigantesque et superficiel film à grand spectacle. A chacun sa caverne, à chacun son cocon protecteur l'éloignant encore plus des réalités et flattant un égoïsme galopant. On reviendra largement sur ce thème lors du prochain chapitre qui verra les membres recrutés par Tyler s'atteler à l'organisation et à l'entrainement aux prochaines missions.
La dernière partie du chapitre marque une nouvelle progression dans la nature ambigüe des relations entre Jack et Marla. Dans un premier temps il a l'air assez curieux de la revoir et s'enquiert de son état d'esprit, ce qui la pousse à toujours fréquenter les groupes d'entraide. Pendant un court instant les deux peuvent même sembler être un couple "normal" débattant des bienfaits retirés d'une activité mené par l'un des deux, Jack manifeste à cette occasion son incompréhension quant à cette nécessité pour un "être faible de s'accrocher à quelqu'un de plus fort" et Marla lui retourne aussitôt sa remarque. Si elle a poursuivit la fréquentation des groupes pour pouvoir croire qu'il y avait des vies encore plus misérables que la sienne, lui les a délaissé mais a choisi en retour de faire sa mue par le biais d'un intervenant prenant progressivement le contrôle de son esprit. A cet instant notre vision de Marla évolue, elle apparait comme plus fine et profonde qu'elle le laissait voir jusque là et surtout elle démontre qu'elle a identifié les causes du comportement changeant de Jack avant tout le monde et d'une certaine façon avant le public lui-même. Elle est sur le point de lui ouvrir les yeux et de le mettre face à ses contradictions quant à nouveau Tyler s'immisce pour protéger ce qui est pour lui le plus précieux, l'influence acquise depuis des mois sur le personnage principal.
Marla tente de pousser Jack dans ses derniers retranchements en insistant sur ce "nous" dont il parle et sur lequel elle voudrait qu'il place des noms, aussi elle s'émeut à nouveau de sa brûlure à la main avant d'en interroger la provenance et le but derrière cet acte.
L'irruption de Tyler dans la conversation se réalise de manière détournée, d'abord par les bruits bourdonnants qu'entend Jack comme si son ami fabriquait quelque chose à la cave puis par les mots qu'il lui souffle par l'escalier alors que la porte est entrouverte. Se sentant acculé entre deux pôles d'attraction, Jack opte pour celui qui lui a redonné le goût de la vie débridé plutôt que celui qui croit-il l'a empêché de s'épanouir. En fait on peut aussi dire qu'il s'appuie sur une forme de sécurité consistant à nier son problème plutôt que prendre le parti de l'auto-analyse qui l'obligerait à assumer ses actes.
La façon utilisée par le scénario pour dévoiler un énième indice est très astucieuse ici car l'effet engendré par l'insistance de Marla à questionner le "nous" dont parle Jack est contrebalancé par le plan de Tyler dans les escaliers, visuellement et auditivement invisible par Marla donc pouvant faire croire qu'il est fait de chair et d'os. D'ailleurs on peut aussi se dire à cet instant que Marla n'a jamais directement été impliquée ou même informée au sujet du "fight club" et que le "nous" qu'elle interroge va au-delà des deux personnalités que nous suivons de près mais peut concerner l'ensemble du groupe formé. Et puis la force initiale du scénario pour semer le doute est l'identité de Marla, un personnage qu'on peut croire à la première vision superficiel, sans valeur et chroniquement instable. D'où les pires accusations de folie qu'on pourra lui imputer lorsque l'on se placera du point de vue du narrateur.
Le chapitre s'achève sur un Jack rejoignant Tyler à la cave et lui reprochant de s'être encore servi de lui comme intermédiaire pour virer Marla de la maison. Il interrompt vite sa remarque quand il découvre un nombre important de sommiers rassemblés et se demande quelle est la nouvelle idée qui a germé dans le cerveau de Tyler.

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