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Altaïr et Véga
Posté par kuwn le 17/01/2007 00:00:00
Dans le dortoir désert, immobile sur une chaise, Jérôme fixait silencieusement une photo qu'il tenait dans sa main avec soin.
Une photo d'elle.
La photo était vieille et jaunie par le temps. Des rides blanches parcouraient le petit carton.
Mais la jeune fille qui s'y trouvait était toujours si belle, avec son sourire charmant et joyeux, si impeccable.


Sur le quai, il y avait plus de militaires que de civils.
Jérôme découvrit Marianne dans la file. Un visage triste fixait un autre visage triste, laissant jaillir rien d'autre que du chagrin.
L'ambiance était lourde et étouffante. Des nuages grisâtres et épais couvraient le soleil trop peiné à voir cette scène déchirante. Leurs lèvres remuaient, mais aucun ne parlait.
Quelques instants plus tard, elle baissa sa tête. Deux ruisseaux de larmes coulaient sur sa joue.
—Est-ce que nous allons nous revoir ?
—Bien sûr, attends-moi, Marianne, on se reverra un jour...
Jérôme sentit que son cœur était en train de fondre lorsqu'il la vit disparaître dans les wagons de fer. Il ne voyait plus rien à travers ses yeux embrouillés. Seule le désespoir cria à l'agonie au fond de son âme.
Tous les expatriés étaient à bord du train. Un long sifflement se fit entendre et le tas de ferrailles commença à avancer lentement.
Jérôme perdit le contrôle de son propre corps et poussa le gardien devant lui pour frayer un chemin. Il courait, et il courait, comme si courir le délivrerait de son désespoir.
Un visage blême apparut derrière la fenêtre formée de barres de fer. Le visage de Marianne. Elle le regardait courir, et pleurait.
La distance entre lui et la petite fenêtre s'allongea de plus en plus. Mais il courait encore, et encore, ne voulant pas abandonner. À ces yeux, dans ce monde, il y avait seulement lui, elle et ce train qui les séparait.
La voir quelques secondes de plus, tel était son désir, son vœu, sa volonté.
Finalement, il trébucha et tomba. Lorsqu'il se releva, elle était déjà loin. Si loin qu'il était même impossible d'apercevoir son visage.
On ignorait quand, mais une pluie fine enveloppait la gare.
Le visage de Jérôme était mouillé. Était-ce la sueur, la pluie, ou la larme ?
Maintenant, pour lui, dans ce monde, il n'y avait plus rien d'autre que le néant.

L'instant même où il l'aperçut, son cœur oublia de battre.
Elle n'était pas une déesse d'une beauté rayonnante, ni une créature diabolique aux chairs sensuelles. Elle ne portait pas d'habits resplendissants ou d'ornements précieux. Elle était simplement elle. Pourtant, quelque chose en elle, peut-être son joli visage ou de sa mince taille, peut-être la confiance et la détermination qui jaillissaient hors de son apparence douce et délicate, attirait Jérôme, l'envoûtait et l'ensorcelait.
Il la regardait partir, devant lui, mais n'osait pas lui parler.


Le même lieu, le même temps, leur deuxième rencontre annonça le début d'une romance délicieuse.
Jérôme entra en collision avec une jeune fille lors de sa course débile. Alors qu'il se tourna pour s'excuser, il la vit, elle.
Il la dévisageait, et elle aussi, le dévisageait. Un sourire embarrassé se trouvait sur ses lèvres fines. Et il sut que son cœur n'appartenait plus à lui, mais à elle.
Il lui tendit le livre qu'il ramassa par terre, en baissant son regard pour cacher les joues brûlantes.
Astrologie et Astronomie.
Il la fixait, surpris. Quelques instants plus tard, il sortit de son sac avec maladresse un livre ayant le même titre.
Il sourit bêtement, et elle aussi.
Ils entraient tous les deux dans la bibliothèque déserte, y passaient un après-midi merveilleux empli de discussions colorées.
Ils parlaient d'astrologie, de leur croyance, de leurs points en commun, et finalement d'eux-mêmes.
Et c'était le coup de foudre, la voix du destin, et même, la sérendipité.


Elle, s'appelait Marianne, étudiante étrangère.
Ils aimaient tous les deux les étoiles, les mythes et la liberté. Ils s'aimaient.
Jérôme avait trouvé sa meilleure amie, son âme sœur, la femme de sa vie.


—Jérôme, regarde le ciel, chuchota Marianne d'une voix douce.
—C'est bleu, répondit celui-ci.
—Oui, c'est bleu.
Le jeune homme lâcha un rire.
—Je voudrais tant être un oiseau, continua-t-elle, rêveuse. Ouvrir mes ailes et plonger dans les bras de la liberté. Me laisser aller, voler dans l'étendu du ciel, sans les obligations de ce monde, de tous ceux qui nous entourent. Oublier tout, laisser tout derrière moi, abandonner le passé, omettre le présent, refouler l'identité, et, voler, voler...
—Tant de liberté, l'interrompit Jérôme, tant de bonheur. Plus de responsabilité, plus de devoirs, plus de société, rien qu'une immense liberté devant nous, qui nous sourit, et on...
—Vole... Prononcèrent-ils en même temps.
Ils se dévisagèrent, et, en souriant avec joie, s'embrassèrent.
—Allez, viens, lança Jérôme en se levant subitement. Je vais te montrer quelque chose.
Et Marianne le suivit. Elle savait que peu importe où il l'amènerait, elle serait heureuse.


Plus tard.
Le petit biplan privé effleura doucement les nuages dans l'immensité du ciel azuré, tel un oiseau libéré de sa cage.
Avant, Marianne devait lever la tête pour admirer la beauté du ciel. Maintenant, elle pouvait ressentir son charme frôler sa peau délicate.
—Ferme tes yeux, chuchota Jérôme.
Elle obéit.
Le vent frais caressait son visage. Le bruit du moteur et du mouvement d'air résonnait à ses oreilles. Mais au-delà de tout cela, elle sentait cette sensation de liberté jaillir en elle, cette possibilité de traverser le ciel, comme un oiseau.
Elle volait. L'avion était immobile, mais Marianne et Jérôme volaient.
—Comment tu trouves la sensation de voler, loin de la surface de la terre, parmi les oiseaux ?
—Fantastique.
—Je l'aime beaucoup, cette sensation de survoler l'horizon, cette sensation de pouvoir observer la terre dans les airs, et non l'inverse. Tant de liberté, tant de bonheur. Je regrette pour l'homme, qui n'a pas d'ailes pour voler au sein du ciel.
—Apprend moi à voler, Jérôme.


La nuit tomba.
Les étoiles avaient peuplé le ciel nuptial, leur éclairage ayant complètement remplacé la lumière du jour. Une demi-lune limpide était accrochée tout près de la voie lactée.
Jérôme et Marianne admiraient avec merveille la nuit étoilée en écoutant son doux silence. Ils n'avaient pas besoin de télescope, ni même de leurs yeux, mais simplement de leur cœur, rempli d'amour et de passion.
Observer la constellation était simplement un prétexte. Ce qu'ils voulaient réellement voir, c'est le visage de l'autre, sur lequel se lisait rien d'autre que le bonheur.
—Quelle magnificence, dit le jeune homme en lâchant un soupir d'émerveillement.
—Si brillants, ajouta Marianne, d'une voix basse.
—Si brillants... Poursuivit Jérôme d'un ton rêveur. Quand j'étais petit, j'avais toujours envie d'attraper les étoiles dans mes mains. Je pensais qu'il s'agit de bonbons fluorescents.
—Tu ne sais que manger...
—Non... À bien y penser, c'est plutôt cette immensité qui m'attire... C'est si grand, le ciel, si vaste. C'est pourquoi j'ai toujours eu envie de devenir un astronaute, comme tous les enfants qui rêvent de liberté, d'ailleurs.
—Mais comme tu es trop maigre pour un astronaute, tu es devenu pilote, lança la jeune femme en pouffant de rire.
Jérôme hocha la tête et se pencha du côté de sa compagne. Il pressa ses lèvres contre les siennes pour lui empêcher de rire.
Tant de délicatesse. Tant de tendresse. Marianne le poussait contre le sol et tous les deux roulèrent sur la terrasse humidifiée par la fraîcheur de la nuit.
Soudain, Jérôme cessa de bouger. Il dévisagea le ciel bleu foncé et pointa du doigt deux étoiles lumineuses très rapprochées.
—Marianne, vois-tu ces deux étoiles là-bas ? Dit-il d'une voix songeuse. Celle à gauche, c'est Véga de Lyre, et, elle à droite, c'est Altaïr de l'Aigle. Il y a un folklore chinois, très beau, concernant ces deux étoiles.
—Raconte, lança Marianne, intriguée.
—Eh bien, pour le peuple chinois, Altaïr est un jeune berger pauvre. Il est loyal et travailleur mais son honnêteté ne lui permet pas d'être marié. Un génie, voulant l'aider, lui montre comment faire pour se trouver une compagne : près d'une fleuve où des fées du ciel descendent pour se baigner, Altaïr n'a qu'à cacher les vêtements d'une fée et sans son habit sacré, celle-ci ne peut plus voler pour retourner au ciel. Il a fait exactement ce que le génie lui a dit, et Véga, une fée, est obligée de rester vivre avec lui. Des années passèrent, ils ont eu des enfants, et Altaïr, un peu désolé, raconte la vérité à son épouse. Elle l'a pardonné pour son geste et décide tout de même de l'aimer. Mais, l'Impératrice des dieux du ciel, étant au courant de ce secret, sépare le couple avec rage puisqu'une fée ne peut être l'épouse d'un homme ordinaire. Altaïr, ne pouvant se passer de son amour pour Véga, part à la recherche de sa femme. Finalement, il la retrouve après avoir parcouru presque la terre entière, mais un énorme fleuve les sépare : la voie lactée. Les hirondelles ont pitié de leur infortune et décident de les aider en relier un pont avec leur propre corps sur la voie lactée. Ainsi, chaque 7 juillet du calendrier chinois, les deux amants peuvent se rencontrer dans le ciel à l'aide de ce pont. Aussi, lors de ce jour, ces deux étoiles sont les plus rapprochées l'une de l'autre.
—Et aujourd'hui...
—Vois-tu des hirondelles dans le ciel ? Dit-il en levant la tête.
—Très belle histoire, répliqua Marianne en fixant les deux étoiles brillantes.
—Crois-tu à la réincarnation, Marianne ? Demanda Jérôme subitement.
—Heu... Je ne sais pas.
—Moi j'y crois.
—En quoi veux-tu être réincarnée ?
—Toi ?
—Hum... Je ne sais pas. En oiseau peut-être, en hirondelle. On n'aurait plus besoin d'un avion pour voler.
—Dans ce cas, moi aussi, dit-il en souriant. Je voudrais en devenir une, pour te tenir compagnie.
Marianne resta silencieuse et ferma ses yeux.
—Réincarnons-nous tous les deux en étoiles, dit-elle d'une voix douce. Nous pouvons alors se voir dans le ciel pour l'éternité.


Le ciel était couvert de couleurs rose et blanches qui se tortillaient ensemble, tel une crème glacée à la fraise en train de fondre.
Les narines de Jérôme étaient emplies par la légère odeur de la rosée, et aussi par le tendre parfum corporel de la jeune femme dans ses bras.
Le chant matinal des oiseaux résonnait dans le bois. Le monde n'était plus que le remix d'une douce mélodie.
Ses mains caressaient la chair nue de son amante, avec affection et délicatesse. Le geste était d'une volupté, mais l'intention d'un amour profond.
Le jeune homme ferma ses yeux, mais il s'enivrait toujours de ces belles images qu'il percevait avec ses oreilles, son nez, son sens. Il savourait pleinement chaque bouchée d'air, chaque bruit et chaque instant. Il savourait la vie, le bonheur.
Beaucoup avaient passé leur vie entière à la recherche d'un bonheur illusoire, alors que souvent le vrai bonheur était simplement devant eux, à leur portée.
Le vrai bonheur, c'est chaque instant que l'on passe avec celui ou celle que l'on aime.
Le vrai bonheur de Jérôme, c'est d'être avec Marianne.
Le vrai bonheur de Marianne, c'est d'être avec Jérôme.
Ils étaient heureux ensemble, c'était tout ce qui comptait.
—Ici, la levée de soleil est le plus belle du monde, chuchota Jérôme à l'oreille de Marianne.
—On ne va pas tarder à savoir si c'est vrai, répliqua celle-ci, les lèvres riant de joie.
Elle fixa l'Est les yeux grands ouverts, sans oser cligner ses paupières par peur de rater une telle vue.
Jérôme garda sa tête basse et regarda passionnément le visage de son amoureuse. Les yeux de celle-ci étaient d'une clarté si ensorcelante, qu'il avait soudain envie de baiser.
Et il fit.
Il se pencha davantage, et embrassa le front de la jeune femme. Il avança son corps et finit par clore les lèvres Marianne avec les siennes.
Dans un éclat de rires étouffés, les deux amants roulèrent par terre et se livraient à la tendresse et à la passion.
L'astre du jour, tel un énorme disque incandescent, se leva derrière une colline éloignée.
Mais personne ne s'en rendait compte.
—Tu m'as fait rater la levée de soleil, se plaignit Marianne, mécontente.
Jérôme sourit.
—Le soleil se lève tous les jours, de toute façon, dit-il en riant, mais embrasser une petite fille impressionnée par son apparition n'arrive pas souvent.
—Il est beau, lâcha la jeune femme en le poussant doucement et en dévisageant le ciel rose.
Son visage sombrait sous le faible rayonnement du nouvel astre, et devint aussi rose.
—Tu es encore plus belle, Marianne, souffla Jérôme dans ses oreilles. Tu es ma plus belle levée du soleil.
La jeune femme baissa la tête sous le compliment de son amant.
—On dit souvent que la personne que l'on aime est toujours la belle, dit-elle en souriant. Peut-être que je suis laide pour les autres.
—Je m'en fiche des autres, lança le jeune homme d'un ton grave. Je m'en fiche du monde, ou du reste du monde. Tout ce compte pour moi, c'est toi, Marianne.
Il la serra de plus fort dans ses bras et continua.
—Je t'aime.
Un tendre silence occupa l'atmosphère fraîche du matin, et la rendit plus chaude.
—Je t'aime aussi, Jérôme.
Passion, tendresse, volupté.


Parfois, le destin est cruel.
Dans le cas de Jérôme et de Marianne, il l'est.
Alors qu'ils ne vivaient que pour s'aimer, le pire malheur les frappa.
Pire que la mort.
La séparation.
La guerre s'éclata, aussi imprévisible que le temps.
Elle ne concerne que ceux qu'elle ne doit pas concerner. Et dans ce cas, Jérôme et Marianne étaient tous les deux concernés.
Le pays de Jérôme était en guerre avec celui de Marianne.
Tous les immigrants, les étudiants à l'étranger, les voyageurs, étaient expatriés, sans exception. Pour ceux qui ne quittaient pas, la mort destinée aux espions.
Et Marianne devait quitter aussi. Elle devait quitter Jérôme.
C'était terrible, mais ils ne pouvaient rien. Ils n'étaient que deux petites feuilles emportées par le vent. Ils s'étaient rencontrés par hasard, et voilà le hasard les sépara.
Les larmes avaient assez coulé. Les promesses étaient assez dites. Ils voulaient fuir ensemble, mais ne voulaient pas risquer la vie de l'autre. Chacun voulait que l'autre vive, heureux.
Mais souvent, la vie et le bonheur, ne sont pas toujours bien associés l'un avec l'autre.
Et ils se séparaient, convaincus qu'ils pourraient se revoir. Ils devaient se revoir.
Le temps coulait. Comme une rivière sans bornes.
La séparation.
Dura six années.
Six ans, ils ne pouvaient pas se voir.
Six ans, ils ne pouvaient pas se parler.
Six ans, chacun ignorait si l'autre allait bien.
Six ans.


Demain, sa dernière mission.
Demain, la prise du capital.
Demain, la fin de la guerre.
Après demain, il pourrait revoir Marianne.
Il ignorait toujours pourquoi il était dans l'armée de l'air. Il ignorait comment il pouvait ne rien sentir en tuant les compatriotes de celle qu'il aimait. Il ignorait comment il pouvait survivre en ravageant les terres du pays natal de celle qu'il aimait.
Avait-il espoir de la revoir avant la fin de la guerre ? Il l'ignorait.
Tout ce qu'il savait, c'était que demain la guerre se terminerait.
Il pourrait alors retrouver Marianne, il ferait tout pour la retrouver. Tout.


Un nuage d'avions de chasse et de bombardiers envahit le ciel déjà couvert de nues grises et lourdes. Lourdes, comme le cœur tendu des gens.
L'avion à ailes delta de Jérôme volait gravement dans l'étendu du ciel. Quoiqu'il fût beaucoup plus rapide, il n'avait pas cette liberté vive du biplan jaune.
Malgré sa belle apparence, il ressemblait davantage à un animal en laisse, dont le destin était fatal.
Jérôme se sentait soudain si isolé dans son petit avion de guerre.
Il était une fois, il volait avec Marianne.


Quelques dizaines d'avions ennemis apparurent et tentèrent d'intercepter les bombardiers en chemin pour la destruction de leur capital.
Feux. Tirs. Explosions. Prières.
Jérôme restait impassible devant ce gigantesque feu d'artifice aérien. Il ne pensait plus.
Trois ans de vie militaire lui avaient appris à regarder ses ennemis non comme des humains, mais comme des jouets sans vie.
Il ne voyait que les pièces métalliques qui tombaient du ciel, et non les hommes déchus.
Il était une machine, sans sentiments, destiné à tuer, à abattre.
Il pourrait se sentir réellement en vie seulement s'il était touché, s'il allait bientôt mourir.
C'était ce qu'il sentit en ce moment même.


Il le suivait de près. De très près. Comme s'il pouvait le toucher.
Son adversaire était désespéré. Il était sans issue. Il attendait patiemment le moment de son malheur.
Mais Jérôme ne pouvait tirer.
Il n'était pas capable.
L'avion de chasse ennemi volait exactement comme lui. Chaque geste, chaque mouvement, tout. C'était comme s'il pourchassait lui-même.
Mais il ne pouvait être lui.
Ses mains tremblaient. Et pourtant, les mains d'un pilote ne tremblaient jamais.
Plus près, encore plus près. Il voulait voir de plus près.
Son esprit était embrouillé Son cœur recommença à battre avec rage après tant d'années d'hibernation.
Plus près.
Et il vit. Sur la queue de l'avion ennemi, il vit cette minuscule image qui le frappa comme un foudre.
Et il ne pouvait plus tirer, plus jamais.
Deux hirondelles, volant l'une à côté de l'autre.
La même image qui se trouvait sur son avion.


—Jérôme, dit Marianne calmement après leur vol, quand j'aurais un avion moi-même, je peindrai deux hirondelles sur sa queue.
—Pourquoi ?
—Pour être spéciale, je ne sais pas. C'est beau.
—Je veux dire, pourquoi hirondelles ?
—Parce que je les aime bien. Pas toi ?
Le jeune homme sourit et ne dit rien.
—Elles sont le symbole de la joie et de la liberté, continua-t-elle. Le printemps, l'amour, le bonheur. Leur manière de voler est si belle, si naturelle, si noble.
—Pourquoi deux alors ?
—Je te le dirai pas.
—Hum... Laisse-moi deviner... L'une est toi, et l'autre est moi ?
La jeune femme le frappa doucement avec ses petits poings et se retourna en riant.
—Dans ce cas, dit Jérôme dramatiquement, je le ferais aussi. Deux hirondelles, hein ? Comme ça, on se reconnaîtrait même dans le ciel...


Et il la reconnut.
C'était elle. Marianne.
Il entendit une légère explosion. Il sentit une odeur de fumée.
Il fut touché. Il fut touché lorsqu'il sombrait dans ses souvenirs.
Une flèche grise traversa le ciel, pointé vers le sol.
Jérôme ne fit rien, il était impassible devant son malheur. Il fixait encore de loin les deux hirondelles qui revenaient, glorieuses.
Mais soudain, elles semblaient perdre le contrôle de leur propre corps.
Et tout de suite, elles descendaient du ciel aussi.
Elles étaient touchées, elles aussi.
Mais comment ?
Marianne le reconnut.
Se dit-il, en souriant.
Et les deux avions virevoltaient dans leur chute interminable, comme deux feuilles d'automne.
Le temps était long.
Jérôme enleva son masque, il tenta de voir à l'intérieur de l'autre avion.
La fumée cachait sa vue.


Deux sièges furent projetés hors du nuage gris.
Deux champignons multicolores apparurent.
Les pilotes se regardèrent dans les airs.
La seule frontière entre eux, était probablement leur unifrome.
Le temps était long.


Sur le sol.
Ils se regardaient.
Jérôme et Marianne.
Marianne et Jérôme.
Personne ne disait rien. Ils se contentaient de se regarder.
Ils se regardaient. En quelques secondes, ils s'étaient regardés pendant quatre ans.
Et ils se mirent à courir. L'un vers l'autre.
Et ils s'embrassèrent. Et ils se serraient fort.
Plus fort que jamais.
Mais personne ne disait rien. La parole était inutile. Le regard suffisait pour révéler la voix de leur cœur.
Les explosions, les feux, les bruits déchirants, la guerre, le monde, tout. Rien n'a plus aucune importance.
Que la guerre continue. Que les gens se battent. Que le monde se détruise.
Mais qu'ils s'aiment, qu'ils continent de s'aimer.
Le temps était long. Il était même immobile.
Des larmes de coulaient sur leur visage, qui sait si elles sont de joie ou de tristesse.


La guerre se termina pourtant. Elle se termina lorsque la ville attaquée fut entièrement détruite. Personne n'était le gagnant, comme toujours.
Ou peut-être les seuls gagnants étaient Marianne et Jérôme.
On l'ignorait, car personne ne les avait revus après la dernière grande explosion.
Ils étaient peut-être morts, ou vivants. Mais cela n'avait plus aucune importance.
Ils avaient aimé. Ils s'étaient aimés. C'était assez.


Quelque temps plus tard.
Le printemps. Dans un parc. Au crépuscule.
Deux hirondelles survolaient joyeusement le ciel gris et rose.
Ils volaient, l'une à côté de l'autre.
Lorsque la nuit tomba, deux étoiles brillaient dans la voie lactée.
Elles étaient si rapprochées l'une de l'autre.
(fin)

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Re: Altaïr et Véga
Posté par angelheart le 17/01/2007 12:55:59
Belle histoire! et trés bien ecrite, je souhaite que tu continue a nous faire réve en partagent tes histoires!! Bravo!!!!!!!!!!!!!!

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Re: Altaïr et Véga
Posté par morphine le 18/01/2007 17:24:13
j'ai trouvé ça si beau...c'est rare que je ressente une telle émotion alors je t'écris pour t'encourager! Bonne continuation :"

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Re: Altaïr et Véga
Posté par ushiwa.sasuke le 22/01/2007 16:12:14
très belle histoire, bravo !

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