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Faire jouir les femmes |
C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Notre héros se contemplait dans un miroir défraichi, jamais dépoussiéré. L'odeur du reflet piquait au nez et faisait monter les larmes. Mais il n'était pas triste, vraiment pas. |
C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Notre héros se contemplait dans un miroir défraichi, jamais dépoussiéré. L'odeur du reflet piquait au nez et faisait monter les larmes. Mais il n'était pas triste, vraiment pas. Seulement ce gout de la solitude un peu trop prononcé... Le monde est stupide de toute façon. Stupide aussi son attitude vis-à-vis du monde : fuir par mépris et non par crainte comme ils le croient tous. Mais pourquoi ils ? Elles surtout ! Viles femelles. Les aimer de tout son corps, les chercher et les chérir. Les quérir et se voir refoulé. Toujours. "Une de perdue... " Mais ce secret anéantit tout. Comment trouver l'autre comme soi ? La chercher. Toujours. Aimer les femmes est un secret bien lourd quand c'est un garçon faible qui le porte sur ses épaules maigres. Des bras encore si peu développés, le visage presqu'imberbe et ce sexe pour ainsi dire inexistant. Corps nouveau d'homme, à peine apprivoisé. Il le voulait pourtant ce sexe fort, pour faire jouir les femmes. Il avait l'intuition de pouvoir s'en servir plus intelligemment que les autres. Faire jouir les femmes. Mais son sexe si faible fait fuir les filles. Depuis l'enfance. Les autres se moquaient de sa féminité, il hurlait de rage : "je ne suis pas une fille !", toujours la confusion. C'est vrai, ses cheveux mi-longs que ses parents refusaient de couper. C'est vrai, ses habits de fille qu'on lui imposait de porter. C'est vrai, ses émois dans les vestiaires, voir les autres corps qui n'étaient pas comme le sien. Et puis son corps, à elle. Quinze ans à peine et déjà une gorge de femme. Des dents saines, des lèvres carmin. Son charme l'avait hypnotisé, il émanait d'elle une douce provocation qui faisait penser à un parfum d'enfant. L'aborder lui a bien sûr posé quelques soucis d'organisation : comment avoir l'air plus ou moins viril et sûr de soi, comment ne pas bégayer en lui parlant, etc. Mais il l'a eue. Invraisemblablement. Bien sûr les émois de la première déclaration, l'incertitude de savoir si le sentiment est partagé, les battements de cœur au premier rendez-vous. Mais elle l'aimait, lui disait-elle. Sentiment de force et de puissance après toutes les années de frustration. Lui, qui l'eût cru, embrassait cette jolie fille. Il allait bien, tout allait bien. Jusqu'à la première relation sexuelle. Elle ne l'avait pas prévenu, dans un élan d'amour elle glissa sa main jusqu'à l'entrejambe. Trahison. Il ne voulait pas qu'elle y touche. Trahison, elle s'en va, horrifiée. "Une de perdue... ", il en chercha dix autres. Mais sa réputation était faite : il n'aimait pas les filles, il les repoussait quand elles voulaient timidement le toucher. Absurde ! Il voulait faire jouir les femmes. Toutes les femmes. Alors, il commençât à fréquenter les endroits glauques, les filles faciles qui ne posaient pas de question. Il les payait de toute façon : il achetait leur silence, qu'elles ne révèlent pas qu'il les faisait jouir en usant uniquement de ses mains. Des mains de fille, très fines. Il fréquentât les milieux de la nuit, les danseuses de cabaret, les transformistes, il était fasciné. Ils étaient ses repères, ces lieux où sa différence indifférait ses compagnes. Il se sentait bien, pour une fois. Il entretenait pleins de relations, il ne les comptait plus, lui qui était fui de toutes. Mais il regrettait toujours cette fille. La première. Il lui manquait quelque chose. Être enfin ce qu'il a toujours été : un garçon. Le rendez-vous à l'hôpital, les tests psychologiques, l'attente, l'anesthésie, l'ablation des caractères féminins, l'implantation de l'appareil masculin. Il était femelle, le voici homme. Il l'avait fait pour elle, la revoir. Car il n'en avait jamais aimé d'autre. La retrouver d'abord. Recherches obstinées et interminables. L'angoisse, le désespoir, l'amour, l'adresse. Elle avait changé de ville. Ce n'était pas plus mal d'ailleurs. Il sonne chez elle, elle le reconnaît de suite, un signe ? La discussion banale, l'aveu de l'opération, il était vraiment homme maintenant. Elle voulait voir, comment lui refuser ? Il se déshabilla, il la déshabilla. Tout de suite, il aima tout son corps, elle était parfaite jusque dans les moindres détails. Elle le toucha sans répulsion, malgré les cicatrices. Mais ce sexe factice refusait de sortir de sa torpeur. Il ne pouvait pas l'utiliser. Il la posséda pour qu'elle n'ait plus à le toucher. Rageur, il s'obstina, grâce à ses mains expertes, à lui déclencher une longue série d'orgasmes. N'en pouvant plus, elle s'enfuit et lui demanda à travers la porte de la salle de bains de partir. Frustration, sentiment d'inutilité et d'impuissance. "Merci", lui siffla-t-elle alors qu'il refermait la porte. On regagne son chez-soi, bouillant de fièvre. Trop de sentiments contradictoires. Il ne la verra plus, jamais plus. Il l'aime, n'aimera qu'elle. Son corps de femme mais le sien qui n'est pas même d'homme. Il ne lui sert à rien. Le pont, une pensée furtive. Et puis il est trop lâche que pour se lancer à l'eau. Regagner son chez-soi et puis dormir avant de s'éveiller dans la nuit. Il retrouve ses endroits glauques et les filles faciles, qu'il achète car elles savent qu'il ne peut utiliser son sexe. Les longues nuits à se distraire et se réveiller les lendemains vers les treize heures. Rencontrer des autres comme soi, être seul à plusieurs. Mépriser les heureux, trouver stupide le monde qui l'a fait naitre. Stupide aussi son attitude vis-à-vis du monde, il craint les autres de découvrir son secret. Ne pas être triste, donner l'impression d'aller bien. C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Notre héros se contemplait dans un miroir défraichi, jamais dépoussiéré. L'odeur du reflet piquait au nez et faisait monter les larmes. Mais il allait bien, tout allait bien. |
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