Extrait du site https://www.france-jeunes.net |
Revoir un printemps |
Un soir, dans un parc, sous la neige, un homme en fin de vie rencontre le regard d'un enfant qui débute la sienne, et leur vie vont changer. |
C'est fou, tout de même, ce que le ciel peut nous apporter. Je pensais cela, assis sur un banc, au milieu d'un parc désert, emmitouflé dans mon vieux duffle-coat marron. Et ce que le ciel nous apportait en ce moment même, c'était de la neige. De la neige bien blanche, bien tendre. Comme celle de mon enfance. Mais ce n'était peut être pas le moment de penser à des choses aussi douces, peut être aurais-je dû penser au paradis, à l'enfer, à ce que j'avais fait de ma vie, à ce qui allait m'arriver. Dans un mois, j'allais mourir. Ho, je sais ce que vous êtes en train de vous dire. D'abord, vous vous dites, ho, encore une histoire triste, encore l'histoire d'un pauvre type qui va mourir, et qui, donc, va essayer de faire pleins de belles choses avant, qu'elle d'y passer. Ensuite vous vous dites : et moi ? Oui, moi ? Qu'est ce que je ferais, s'il ne me restait qu'un mois à vivre ? Vous pensez à votre famille, à vos enfants, si vous en avez, et ensuite, à votre vie elle-même. Ais-je fait ce qu'il fallait ? Vous doutez, Vous vous repassez en boucle vos erreurs, vos B. A... Mais je vais vous répondre. D'abord, ceci n'est pas une histoire triste. Moi-même, je ne parvient pas à être triste, juste un peu anxieux, par moment, et puis, je ne suis pas un pauvre type, je suis même assez riche. Ensuite, je n'avais aucune envie de faire de belles choses, de même que je ne me suis pas mis à réfléchir sur celles que j'avais faites ou non, parce que je crois qu'il faut rester honnête envers Dieu, au cas où... Je ne pense pas à mes enfants, je n'ai jamais été fichu d'en donner à ma femme, et si je pense à elle, c'est parce que je la retrouverais bientôt, elle est morte. Deux enfants passèrent devant moi, suivis de leur mère. L'un d'eux devait avoir une dizaine d'années environ (je n'ai jamais su donner un âge aux gens), l'enfant passa devant moi, donc, et me fixa du regard, une seconde, puis dit à sa mère d'un air inquiet : -"Il doit avoir froid, le monsieur !" C'est vrai, maintenant que j'y pensais, je commençais à me geler sérieusement, assis sur ce banc. Je me levais. J'avais dix ans, ce soir là, et il neigeait. Mon ami Marc et moi traversions de parc de la rue Legrand pour nous rendre au magasin de jouet, car c'était mon anniversaire. En ce jour de Mars, tout aurait pu être parfait : mon anniversaire, mon meilleur ami et ma mère à mes côtés, et la neige, la neige que j'aimais par-dessus tout, et qui tombait abondement sur nos épaules et nos cous bien protégés, oui, tout aurait pu être parfait. Seulement voilà, depuis le matin de ce fameux jour, je ne me sentais pas dans mon assiette, pas du tout, j'avais encore un de ce mauvais malaise qui s'emparait parfois de mon corps et de mon esprit, pour ne me quitter que quelques jours plus tard. Quand j'ai vu cet homme assis sur son banc, j'ai su d'où venais mon malaise, il venait de lui. Je le savais, j'arrivais souvent à savoir ce qui se passait dans la tête des gens, c'est ça que Marc aimait chez moi. Et quand je l'ai vu, j'ai su qu'il s'appelait Jean, et qu'il allait mourir bientôt. Il neigeait encore quand j'ai passé le seuil de ma maison. Quand allait-elle s'arrêter de tomber ? Voilà, j'étais anxieux, je m'en prenais à la neige, à présent ! Si Claudine était encore en vie, ma femme, je m'en serais sans doute pris à elle. Pour me calmer, j'ai pris un cigare, et je suis allé dans la véranda, regarder la neige tomber en fumant un bon Havane, quoi de meilleur ? Mon père m'avait expliqué un jour tout ce que j'avais à savoir sur le cigare, c'était un grand amateur de bonnes choses, mon père. Je devais avoir l'âge du gosse que j'avais vu dans le parc, et mon père, dans cette même véranda, m'avait dit : -"Tu vois, jean, ça, la bouffe, et les femmes, c'est ce qu'il y a de meilleur dans ma vie. A ce moment là ma mère, était passé près de nous et avait haussé les épaules, c'est que mon père devait avoir raison. _ "le bout du cigare, tu le coupes avec ça. Il m'avait tendu une sorte de ciseaux. Le début du cigare, s'appelle le Foin, parce que franchement, au goût, ça y ressemble. Ensuite, haaaa, ensuite, c'est le Divin, divin, absolument divin (j'avais eu envie d'y goûter, dès cette phrase terminée.) Et enfin, le purin ! (J'avais ri)." Le foin, c'était la naissance, parce qu'on ne fait rien d'autre qu'attendre de grandir, le divin, c'était le milieu de la vie, l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, le débue de la vieillesse, le purin, c'était cette ligne droite qui nous envoyait tout droit de là où on était venu, la poussière. A présent que mes dix ans étaient loin, je ne pouvais fumer un cigare sans me remémorer cette scène, c'est-à-dire que je me le la remémorais deux fois environ par semaine. Mais cette fois ci, je ne saurais dire pourquoi, ce n'était pas moi, l'enfant, c'était l'enfant du parc. Après y avoir longuement réfléchit en essayant de trouver le sommeil cette nuit là, je suis venu à la conclusion que mon désir d'enfant extrêmement tardif était monté en moi et que j'assouvissais ce désir en l'enfant que j'avais vu. J'aurais voulu, moi aussi, expliquer les bonnes choses de la vie à un enfant. La mort prochaine me donnait des airs de psy... et de grand-père. Je ne suis parvenu à trouver le sommeil que très tard, ce soir là. Ma mère disait que c'était dû à l'excitation de mon anniversaire, mais je n'étais pas d'accord avec elle. Non, ce qui tourmentait mon esprit, ce n'était ni les dix bougies que j'avais soufflés, ni les nombreux cadeau que j'avais reçu, c'était cet homme, Jean, qui allait mourir bientôt. Je me disais q'il allait mourir seul, (encore une de mes convictions), et que je ne devais pas laisser un tel affront se produire, car il avait l'air bon. Mourir seul, c'était pire même que le fait de mourir. Sentir la vie sortir de son corps et n'avoir aucune main qui tienne la sienne. Ne sentir aucune chaleur autour de soi, ne manquer à personne, n'avoir personne à regretter, c'était cela, qui me tourmentait. Mais que faire, après tout, que faire, pour cet homme dont je ne devinais que le nom ? J'avais donc pris la résolution de traîner dans ce parce chaque fois que j'en aurais l'occasion, jusqu'à ce que je le revoie, et alors, je lui parlerais. La construction précise et minutieuse des phrases que j'aurais pu lui dire alors m'avait pris une autre bonne partie de la nuit, et quand le lendemain ma mère était venue me réveiller pour l'école, je n'avais que très peu dormi. Bon Dieu pourquoi étais-je autant obsédé par ce môme ? Dès le réveil, ma première pensée avait été pour lui. Je ne peux pourtant pas dire précisément ce que je pensais, je ne me repassais pas en boucle la scène dans le parc, et pourtant, je revoyais parfaitement son visage, ses yeux, je ne tentais pas d'imaginer quelle pouvait être sa vie, et pourtant, j'arrivais à me l'imaginer, je m'étais même dit que l'autre enfant avec lui dans ce parc, ce soir là, n'étais pas son frère, mais son meilleur ami. Je ne sais pas d'où pouvait bien me venir cette idée, J'imaginais. Etais-je en train de devenir fou ? J'allais en parler à mon docteur ce jour même. Jean était tracassé, ce Mercredi là, durant sa visite, sa dernière visite, mais je ne le savais pas encore à ce moment là, que je ne le reverrais plus. Il m'a parlé d'un enfant qu'il avait vu dans le par cet à qui il ne pouvait s'empêcher de penser. Je lui ai dit que la peur de la mort pouvait prendre bien des aspect, et que cet enfant devait représenter, à ses yeux, ce qu'avait été sa vie, que son subconscient était en train de faire les choses pour lui, puisqu'il refusait obstinément de le faire. Quel crétin de médecin, tous des imbéciles ! Moi, refuser de faire le deuil de ma vie, refuser devoir la réalité en face ! Moi ? Tout ça parce que je n'avais pas peur, tout ça parce que je ne me plaignait pas, qu'aurait-il voulu que je fasse, comme tout le monde ? Je ne suis pas tout le monde, je ne serais jamais comme tout le monde, non, je ne me mettrais pas à genoux dans une église en suppliant Dieu de m'accorder un sursis, non, je ne me bourrerais pas de médicaments pour dormir, pour arrêter de penser jusqu'à ce que ce soit ça qui me fasse mourir. Je sais que j'ai cette grosse boule dans la tête qui a atteint la taille d'une belle cerise, je sais, je vais mourir, mais devont nous tout réagir de la même façon devant ce compte à rebours ? J'étais tellement énervé que j'aurais pu lui casser son diplôme encadré sur son crâne d'œuf ! J'étais venu en toute amabilité chercher des réponses et j'étais ressorti de la clinique plus malade que si mon caillot avait explosé à l'intérieur de mon cerveau. Et tandis que je marchais d'un pas rapide le long du boulevard qui me mènerait à mon prochain cigare, j'avais encore le même visage enfantin devant les yeux, il me semblait d'autant plus proche que ce médecin de pacotille venait presque de me dire qu'il n'existait pas. J'étais assis à ma place, à l'école, quand soudain mon regard a été attiré par la rue. Un homme marchait d'un pas agacé, droit devant lui, dans un but précis, et je l'ai reconnu, c'était l'homme du parc, Jean, dans son gros manteau marron ! Mon Dieu mon cœur battait encore plus vite que lorsque j'avais embrassé Eloise sur la bouche derrière le gymnase, et c'était peu dire, alors je n'ai pas réfléchi, j'ai levé le doigt et demandé à aller aux toilettes. _ "Oui, oui, vas-y vite, m'a dit le prof, tu m'a l'air bien pressé !" J'ai couru comme je ne l'avais jamais fait, plus vite qu'en cours de gym, plus vite même, je pense, que si ma vie en avait dépendu. J'ai dévalé les escaliers, couru vers le portail, et je l'ai même escaladé ! Moi qui n'avait même jamais osé être en retard, moi qui n'aurait jamais oublié de faire mes devoirs, mais comme je l'ai dit, je n'ai pas réfléchi, j'ai suivi mon instinct, sans penser aux conséquences. Une fois dans la rue, j'ai encore couru, je ne pensais toujours à rien, tendis que dans le froid de l'hiver, en simple pull, je "marathonais" le boulevard à la recherche d'un homme dont je ne savais presque rien, mais dont je devinais qu'il avait, en ce moment précis, absolument besoin de moi. Je me suis senti observé, tandis que j'allais entrer dans ma cage d'escalier, encore mon subconscient ? Non, personne ne me suivais, pour la simple et bonne raison que je ne connaissais personne qui ne vive à moins de trois cent kilomètres d'ici, non, qu'allais-je encore inventer là ? Je l'ai perdu, Ha non, C'était trop bête ! Non ! Pas si près du but ! Mais le surveillant de l'école, lui, ne m'avait pas perdu, il me courrait après depuis qu'il m'avait aperçu, depuis son bureau, escalader le portail et me lancer dans la rue, tout seul. Il'avait rattrapé par le bras et traîné jusqu'à l'école, je n'entendais pas ses mots, je pensais : "C'est trop bête, vraiment trop bête ! Quand aurais-je encore une si belle occasion ?" Et si, en fait quelqu'un m'avait réellement suivi ? Oui, après tout ? Allez savoir ? Je suis ressorti de la cage d'escalier, et j'ai regardé autour de moi, non, personne n'était en train de me suivre, je devenais fou, voilà tout. Ils m'ont posé des dizaines de questions, ils ne comprenaient pas ce qui avait bien pu me passer par la tête, et ils ont appelé ma mère, qui m'a posé des questions, elle ne comprenait pas non plus ce qui avait bien pu me passer par la tête. Marc est venu me voir, ce soir, là, il m'a posé des questions, il ne comprenait pas ce qui avait bien pu me passer par la tête. Mais qu'ils me laissent tous tranquille ! Marc, non, Marc, je ne disais pas ça pour toi, reste, je vais t'expliquer. Marc a compris, lui, même s'il ne se souvenait pas de l'homme dans le parc. Marc avait été témoin de plusieurs de mes mésaventures psychosomatiques, de mes "inventions", et il me croyait, il allait même jusqu'à dire que j'étais une sorte de devin, que j'avais un sixième sens, que je savais deviner la vie des gens. Mais j'ai pris la décision de ne plus penser à cet homme, parce que je commençais à me faire peur à moi-même, moi, escalader le portail de l'école pour courir dans la rue en pull par mois deux degrés pour rattraper un vieux dont j'ignorais l'existence la semaine passée ? Mon Dieu, n'importe quoi ! J'ai pris une sérieuse décision le soir même ou j'avais cru être poursuivi : croire ce que le médecin m'avait dit, car ma colère envers lui s'était envolée tout comme cette illusion à propos de l'enfant. Après tout c'est lui qui avait raison, j'allais mourir dans une trentaine de jours et je refusais de l'admettre. Il avait raison. Ce fût long, très long, le temps qu'il m'a fallu pour arrêter de penser à lui, au moins dix jours. Tous les matins, je pensais à lui assis sur mon lit, puis je m'efforçais de penser à autre chose et j'allais m'habiller pour l'école, où je savais qu'ils allaient tous me regarder comme si j'étais un dingue. Puis, au fil des jours, je n'ai plus pensé à lui le matin, puis je n'ai plus pensé à lui le jour, mais le soir, c'était une autre histoire. Je ne savais plus si je pensais à lui, ou si je pensais à ne pas penser à lui, ou si... Ou si j'avais raison de réprimer cette envie, parce que tout de même, il devait bien y avoir une raison, et Marc me le répétait tout les jours, je n'arriverais jamais à ne plus y penser, tant que cette histoire ne serait pas résolue. J'avais beau me répéter que le docteur avait raison, que cet enfant n'était rien d'autre que l'illusion de ma vie passée, qu'il représentait l'espoir que j'avais que tout cela n'était qu'un mauvais rêve et que je n'allais pas mourir, je crois que je n'y ai jamais cru. Non, je n'y arrivais pas, j'ai cru cette fois-ci avoir vraiment touché le fond. Le pire, c'est que je n'osais plus sortir, par peur de le croiser encore, mais il le fallait pourtant, il fallait que je m'ahère, que je fasse des courses, que je poste quelques courrier administratif, que je continue à vivre ce qu'il me restait à vivre ! J'allais voir Marc, et je ne sais pas pourquoi, j'avais contourné par le parc, peut-être que je voulais le revoir... Pourquoi je dit peut-être ? Je VOULAis le revoir. Et je l'ai vu. Il était assis là, au même endroit, sur le même banc, dans le même manteau, et il s'est mit à neiger. Tout avait l'air si réel, et si étrange à la fois. Tout était comme le premier jour, je m'étais approché de ce banc, et mon cœur s'était mit à battre si fort que je pensais qu'il allait l'entendre. Nous nous sommes regardés. Il était là, en face de moi, comme au premier jour, debout devant le banc où je m'étais assis en l'attendant. Il m'avait sourit, et j'avais répondu par un autre sourire, et j'avais su alors que toutes mes pensées, tout mes doutes, toutes mes espérances, il les avait eu aussi. Oui, il avait tout ressenti, non, je n'étais ni seul, ni fou, non, je ne refusais pas d'admettre la vérité, au contraire, j'avais continué à croire envers et contre mes doutes, contre l'avis du médecin, j'avais cru, et j'avais eu raison, et c'était beau. Quand il m'a souri, j'ai su que ce n'était pas là une simple politesse, un simple sourire amical d'un être qui en croise un autre par hasard, j'avais eu raison, mon instinct avait eu raison, et nous allions à présent nous dire des choses qui allaient nous changer pour toujours. Je ne saurais décrire alors, à partir de ce moment là, les relations de profonde amitié que nous avons eu, autrement que comme celle d'un grand-père à son petit fils. Nous étions des âmes sœurs, destinées à se rencontrer, nous avions eu foi en cette croyance, et notre récompense était là, notre union, celle qui allait l'accompagner toute sa vie, celle qui allait m'accompagner dans la mort. Je lui ai raconté ma vie, la vie, sa vie future, les espoirs et embûches qu'il allait rencontrer, le foin, le divin, le purin... Je suis resté à côté de lui, cet après-midi là. Nous étions en train de discuter des filles, quand nous avons senti tout deux que le moment était venu. Il n'a pas voulu s'allonger, il s'est assis dans un vieux fauteuil, dans la véranda. Je lui ai tenu la main. J'ai senti cette main devenir de plus en plus molle, de plus en plus froide, il avait peur, j'avais peur aussi. Je sentais que j'allais mourir, oui, c'était du concret, à présent, et tout ce que j'avais lu et entendu sur ce moment fatidique était vrai, le film que l'on nous projette et dans lequel on revoit les moments clés de sa vie, cette chaleur qui s'empare du corps alors que l'on se sent refroidir au contraire, cette étrange lumière, ce voile lumineux devant les yeux. Mais il y avait cette main, cette petite main chaude dans la mienne, et je pouvais partir tranquille. Il s'est mit à respirer de moins en moins vite, son teint est devenu pâle, et j'ai eu froid, moi aussi, la neige tombait toujours aussi assidûment, la neige tombait du ciel et lui était en train d'y monter, c'est fou, tout de même, ce que le ciel peut nous apporter. -"Tu sais... Ce que j'aimerais par-dessus tout, tu sais de quoi j'aurais envie ? -Non, quoi, Jean ? -J'aurais voulu... revoir un printemps." Et il est parti. |
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