C'est le 5 novembre que, sous l'impulsion du syndicat UNEF, une Assemblée Générale composée de 1000 étudiants a voté la grève pour les facultés de Rennes 2, qui devient alors le noyau de la contestation étudiante contre les réformes sur l'université de Luc Ferry. Le 7, une seconde AG réunissant cette fois le double de personnes vote un appel à la mobilisation pour la semaine du 17 novembre, qui est transmis aux autres universités de France. Le 13, Villetaneuse (Paris 13) entre à son tour en grève. Le 18 et le 19 elles sont rejoint par six autres facultés : Caen, Nantes, Versailles St Quentin, Grenoble 3, Nancy 2 et Lyon 2. Et c'est finalement en ce 20 novembre qu'a eu lieu la première journée de mobilisation nationale, avec des manifestations dans plusieurs villes universitaires, qui ont rassemblé 8000 personnes à Rennes, 5000 à Paris, 2500 à Caen et plusieurs centaines dans d'autres villes telles que Nantes, Strasbourg ou Toulouse. Les manifestants exigeaient que les décrets du LMD soient abrogés et le projet de loi d'autonomie des universités enterré.
Mais avant de savoir ce qu'on leur reproche, ces décrets et ce projet de loi, en quoi consistent-ils ?
Le LMD (License-Master-Doctorat), aussi appelé système du 3/5/8 pour le nombre d'années nécessaires à l'obtention de chacun des diplômes, s'inscrit dans le cadre de l'uniformisation européenne des études. L'idée est que chaque Etat membre de l'Union Européenne adopte les mêmes cycles d'études, basés sur les 3 diplômes, qui conduirait à une plus grande ouverture de son espace universitaire et faciliterait les échanges. L'engagement de la France pour le LMD date de juin 1999, et elle est le pays pilote de la réforme, et le seul où elle ait été votée. Dès la rentrée 2004, une vingtaine d'universités françaises adoptera ce système du LMD.
Quant au projet de loi dit de "l'autonomie des universités" (également dit de "la modernisation des universités") de Luc Ferry, il se situe dans la lignée des décentralisations. C'est-à-dire que les facultés ne seront plus financées directement par l'Etat, mais par les régions. L'Etat ne répartira plus le budget entre les différents secteurs de la vie universitaire, ce sont les régions qui s'en chargeront elles-mêmes. Les entreprises voisines des facultés pourront apporter des crédits afin de financer les secteurs qui les intéressent. Les représentants de ces entreprises (les patrons) pourront tenir des "conseils d'orientation stratégique" avec le président de l'université, et ces conseils auront pouvoir de décision (jusqu'à aujourd'hui, les représentants extérieurs à l'entreprise ne pouvaient avoir qu'un rôle consultatif). Et des coopérations pourraient être établies entre des universités proches, afin de valoriser les échanges, et peut-être aboutir à la constitution d'une seule et même université. Ce sont là les principales réformes de ce projet de loi, qui lorsqu'il sera voté, accompagnera les décrets du LMD déjà existants.
Alors que contestent personnel et étudiants dans ces réformes ? Etant moi-même étudiant de Rennes 2, je me suis entretenu ce matin avec un des grévistes initiateurs du mouvement.
Globalement, les grévistes reprochent à Luc Ferry de vouloir, par ses réformes, "libéraliser" et "privatiser" les universités et donc d'adopter le modèle américain. Car régionaliser le mode de financement et donner davantage de pouvoirs aux entreprises reviendrait à créer d'importantes inégalités entre les différentes universités qui entreraient alors en concurrence, alors qu'aujourd'hui, théoriquement du moins, les chances sont censées être les mêmes d'une faculté à l'autre. Or l'on sait bien que ce n'est déjà pas vraiment le cas, mais la décentralisation renforcerait énormément ces inégalités. Car selon qu'une région soit riche ou pauvre, qu'elle investisse peu ou beaucoup dans le secteur, et la manière dont elle répartisse son budget et paie son personnel, le danger que se creusent les écarts est bien réel et cela est injuste pour les étudiants. Avec le temps, on pourrait voir les frais d'inscriptions augmenter pour certaines universités, qui deviendraient prestigieuses mais élitistes, réservées aux classes aisées, comme peut l'être Harvard aux Etats-Unis. Le principe de "l'université accessible à tous" disparaîtrait donc.
Les étudiants grévistes redoutent également que leurs droits les plus élémentaires soient remis en cause, à savoir la disparition possible du système de compensation d'un semestre sur l'autre et des sessions de rattrapage. Ils craignent qu'une sélection soit instaurée avant même l'entrée à l'université, puis à la fin du premier cycle. Sur l'appel à la mobilisation voté le 7 novembre, on peut également lire que les réformes permettraient "aux entreprises et aux collectivités territoriales d'orienter la politique universitaire, notamment en ce qui concerne la répartition du budget des universités". Et en ce qui concerne les décrets du LMD, ils sont surtout accusés de dévaloriser les diplômes car ils mettent fin au cadrage national, qui leur assurait des valeurs équivalentes. Mais avec le LMD, les diplômes au sein de l'Europe risquent de n'avoir en commun que le nom, car ce qu'ils renferment, leur valeur, sera complètement différente d'un pays à l'autre. De plus, toujours selon les grévistes, il peut sembler ridicule et paradoxal de parler et d'uniformisation européenne d'une part, et de régionalisation d'une autre.
Voilà quelles sont les principales revendications avancées. Pour les jours à venir, la grève devrait se poursuivre au moins jusqu'au 28, et la mobilisation s'amplifier. Le syndicat étudiant UNEF a d'ores et déjà annoncé une nouvelle journée nationale de manifestation qui aura lieu la semaine prochaine, date encore inconnue en ce 20 novembre.